– Comme il est doux de se retrouver dans ce petit coin de verdure. Quelle beauté ! Comme tout est calme et agréable ici. Tu crois les êtres humains capables d’incarner cette quiétude ? Comment réussit-on à être en harmonie avec soi-même et en paix avec le déroulement de son existence ?
– Ce n’est pas si simple. Au regard de mon existence, je peux te répondre. Il a fallu qu’émerge la conscience de mon identité propre, cela a été long à cause d’une histoire familiale compliquée dont il a fallu résoudre les nœuds. Ce qui m’a sauvée du désastre, c’est un fil conducteur présent tout au long de ces méandres, celui qui me reliait au Ciel. Grâce à lui j’ai pu m’extraire peu à peu de cette glu familiale qui m’enserrait et accéder à cette part essentielle de mon être.
– Peut-on être à la recherche d’un idéal et en même temps ne pas évertuer ce retour à soi-même ?
– Oui, bien sûr. Il ne faut pas croire que la recherche de Dieu suffise par elle-même à résoudre les zones d’ombre dont nous sommes constitués. Il est nécessaire d’accomplir un travail d’exploration de soi-même tout au long de sa vie, afin de se connaître pour paraphraser Socrate.
– Connais-tu cette histoire : tout un village se retrouve sous les eaux après des pluies torrentielles et le prêtre réfugié sur le toit de l’église refuse toutes les aides qu’on lui propose, d’abord celle des pompiers, puis l’hélicoptère enfin un tronc d’arbre sur lequel il pourrait s’accrocher. Il affirme obstinément à chaque fois que Dieu va lui venir en aide. La fin est prévisible, il meurt noyé. Arrivé devant Dieu, il ne comprend pas : « Pourquoi tu n’as rien fait, alors que je n’ai pas arrêté de Te prier ? » Et Dieu de répondre : « Ne t’ai-je pas envoyé les pompiers, un hélicoptère et enfin un tronc d’arbre et tu dis que je n’ai rien fait ? »
– Je connaissais cette histoire, avec une autre variante, mais le fond reste le même. Prier Dieu est une chose et se soumettre aux conditions de la vie terrestre en est une autre. D’ailleurs, les circonstances de notre incarnation sur Terre constituent, pour la plupart d’entre-nous, un rétrécissement considérable quant à la conscience de notre identité profonde.
– Je dirais aussi que face au destin familial, nous sommes doubles.
– Oui, nous devons d’abord faire nos premiers pas dans une famille avec laquelle nous ne sommes peut-être pas accordés et dont pourtant nous acceptons de partager le destin. Qu’en penses-tu ?
– Nous ne pouvons pas faire autrement que d’adhérer à un cadre et devoir suivre les règles, les lois et les croyances de la famille pendant un certain temps, sous peine de bannissement et d’exclusion dont l’effet serait dangereux pour le psychisme.
– Ce que tu dis, évoque pour moi l’image de tous ces malheureux dont notre époque regorge, fragilisés par la médication psychiatrique. Ils restent enfermés dans une camisole sans pouvoir en émerger pendant un long temps de leur vie.
– Prisonniers, sans pouvoir se connecter au plus profond d’eux-mêmes, à leur être intérieur, à leur âme. Cette partie de nous-même est pourtant le vrai pilote de notre existence sur terre. Elle a le désir d’émerger et de pouvoir étirer ses ailes.
– L’image est belle, elle donne la mesure de cet aspect de nous-même, en contact avec l’Univers et le Ciel ! Cela vaut la peine de faire le ménage au niveau de ces zones d’ombre accumulées durant nos premières expériences de vie, afin d’y faire pénétrer la lumière et pouvoir se connecter à notre « pilote » fondamental.
– Justement ces zones d’ombre, ne pourrait-on pas les appeler « dysfonctionnements internes » (1), et dès lors, comment les concilier avec la recherche de l’absolu, ou celle d’un idéal ?
– C’est antinomique en effet et cela constitue notre difficulté à vivre ici-bas en harmonisant les deux tendances.
– Tu touches là à un point qui m’intéresse. D’entrée, un dysfonctionnement se met en place lors de notre « intégration » à une famille terrestre. En tant que bébés nous subissons des situations et des évènements qui mettent à mal notre sécurité de base. Souvent les attentes des parents ne sont pas sécurisantes.
– Oui, ils « projettent » sur leur enfant des désirs qui sont les leurs et dont l’enfant va se charger. Parfois cette projection correspond au désir de l’enfant, parfois non.
– Cela peut nous mener vers des expériences de vie pénibles, mais celles-ci n’ont-elles pas pour fonction d’aller réveiller l’être profond dont nous parlions plus haut ? J’ai remarqué le lien étroit entre le dysfonctionnement de base que nous portons en nous et cette recherche de guérison qui nous fait aller sur des chemins dangereux.
– Tu penses à quoi précisément ?
– À des recherches d’ordre spirituel qui promettent des transformations transcendantales...
– Et qui ne font que retarder le moment de notre rencontre intérieure, où se fait la jonction profonde entre le poids de notre destin et notre âme.
(1) C’est une névrose, dont on peut se guérir
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