par André Savoret
Introduction par Chappuis
Quelle meilleure introduction pour ce nouveau cycle de publications que ces mises au point sur M. Philippe que nous livre André Savoret, dans cette Lettre à M. Volguine (1) ! Cinquante ans après, ces écrits émanant d’une personne justement qualifiée pour parler de M. Philippe, on ne peut que regretter – comme cela a été souligné dans les Carnets – que « ses paroles » soient toujours à la mode, au niveau publication bien sûr. Même au sein des « descendants de Sédir » la rigueur de Savoret fait défaut, la prudence, la circonspection comme il l’a dit lui-même. Comment livrer au public toutes ces paroles recueillies ici ou là, dans tel carnet retrouvé, quand on a présent à la conscience cette mise en garde de Savoret sur l’impossibilité de prendre ces écrits pour un enseignement ? Il ne fait d’ailleurs que reprendre les propos mêmes d’Alfred Hael. Que cette mise en garde de A. S. serve à éveiller le bon sens du lecteur, sa prudence devant des témoignages aujourd’hui centenaires ayant perdu leurs contextes personnels.
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Cher Monsieur Volguine,
Je reçois à l’instant votre réponse – qui était bien celle que j’attendais et espérais de vous – à mes modestes remarques sur votre critique du livre d’Alfred Haehl : Vie et paroles du Maître Philippe. Puisque vous voulez bien m’ouvrir vos colonnes à ce propos, je vais tenter de préciser ma pensée sur les divers points où votre jugement me semble pouvoir appeler un correctif. Qu’il demeure seulement bien entendu que ce qui va suivre n’engage que moi, ne vient que de moi et de mes sources particulières d’information qui ne sont pas forcément celles dont le livre incriminé fait état.
Objectivité et cadrage du livre
Ce livre, signé Alfred Haehl et publié après sa mort, renferme des témoignages émanant de diverses sources, loyalement énumérées en tête du volume. Ces sources, à mon sens, n’ont pas toutes la même valeur et, si j’avais été appelé à composer leur recueil, j’en aurais éliminé une partie. En particulier, je trouve regrettable qu’elles ne soient pas mentionnées sous chaque parole ou, tout au moins, que celles recueillies directement par le signataire, qui a fréquenté M. Philippe pendant un bon lustre, n’aient pas été signalées expressément ; un simple astérisque eût suffit.
Quoique renfermant moins d’erreurs que le livre de Philippe Encausse sur le même sujet, celui-ci en comporte encore quelques-unes, dont certaines eussent pu être évitées. L’assemblage de témoignages venant de sources multiples implique nombre de répétitions qui alourdissent et enflent le volume. Certaines phrases sont des copies de copies, qui circulaient sous le manteau bien avant la dernière guerre mondiale, d’où mainte variante, quant à la forme, et même parfois quant au sens, ce qui est plus fâcheux.
Tel quel, il est le meilleur ouvrage sur M. Philippe, la perfection n’étant pas de ce monde. Mais je m’excuse de rappeler que l’essentiel de ce qu’il est possible de dire sur le Maître a été dit en quelques pages définitives par Papus et surtout par Sédir (dans Quelques Amis de Dieu, chapitre : Un Inconnu). Le reste est surtout de l’anecdote.
Le livre d’Alfred Haehl est en résumé un « mémorial », ou plus exactement il entre dans la catégorie des hommages littérairement rangés sous le chef « tombeaux ». C’est assez dire que des phrases sans importance, voire des boutades, y voisinent avec des « enseignements », proprement dits, lesquels, par surcroît, ont nécessité un choix entre plusieurs variantes. Qu’on veuille bien relire les mises en garde discrètes mais nettes des pages 13, 14 et 91 [ed. 1959].
M. Philippe et l’astrologie
Encore que le livre de M. Haehl nous ait fait grâce de « la Lune mère de la Terre », qui se trouve dans le livre de Philippe Encausse et dans pas mal de manuscrits – comme tant d’autres inexactitudes – il contient des affirmations de nature à impressionner défavorablement tout astrologue, et force est à Volguine de les relever, sans enthousiasme, comme il souligne aussi les « platitudes » du texte. Pour la seconde critique, je dirai simplement que M. Philippe parlait à chacun le langage qu’il pouvait entendre et que son auditoire le plus courant, pendant ses fameuses séances, n’était fait ni de sorbonnards, ni de bacheliers ! Et chacun, au retour des séances, notait ce qu’il en avait retenu, dans son style et non dans celui de Jean Racine ou d’Anatole France !
Pour moi, ce que je sais de moins mal tant en astrologie qu’en spagyrique ou en alchimie, entre autres, c’est à M. Philippe que je le dois (je lui suis grandement débiteur pour mon Quatrième Jour de la Genèse en particulier) en partie, par l’intermédiaire d’un disciple inconnu qui fut ma mère spirituelle. Je dirai que M. Philippe, autant que je sache, n’a jamais dénigré l’astrologie, disant seulement qu’elle ne pouvait être restituée dans ses principes et dans son intégralité de nos jours, car tout vit et change, et les courants astraux, les astres eux-mêmes, se modifient au cours des millénaires.
Astrologiquement parlant, il y a 12 signes du Zodiaque. Tout être en ce monde à trois dimensions est le centre d’une sphère à douze secteurs, six positifs et six négatifs. La parole concernant 24 signes ne s’applique pas à notre astrologie, mais est une allusion à une réalité supra-cosmique que l’Apocalypse décrit sous l’aspect des vingt-quatre Vieillards, qui sont ce que M. Philippe (p. 145) nomme la Couronne des Gardiens, si je n’ai pas fait erreur. De même, il faut entendre ce que sont les 72 planètes dont il parle. Se les figurer comme 72 corps célestes, analogues à nos planètes classiques, n’entre pas en question. Inutile de les chercher ou de vouloir les fourrer dans le plan accessible à nos sens et à nos instruments. Ceux qui ont recueilli de tels propos n’étaient pas astrologues et il ne faudrait pas prendre cela au pied de la lettre. Ce qui est vrai dans son plan devient erroné, transposé dans un plan et dans une perspective différentes. Le Maître pouvait instantanément donner la preuve de ce qu’il affirmait, qu’il s’agisse de planètes actuellement invisibles, des causes d’une maladie ou d’un destin, de réalités d’ordre spirituel. Mais, en paroles, comment rendre correctement en mots et en images empruntées à notre espace et à notre temps des réalités d’un autre espace et d’un autre temps, voire, supra-spatiales et supra-temporelles ? Aussi n’a-t-il pas laissé d’« enseignement » au sens intellectuel du terme et s’exprimait-il le plus volontiers dans un langage simple et familier. Pour presque tout ce qui, de lui, ressemble à un enseignement, il faudrait savoir ce qui a amené la phrase citée, quels commentaires l’ont suivie et le degré ou l’orientation de l’entendement de l’interlocuteur. Il faudrait ensuite – mais comment ? – pouvoir faire une discrimination entre ce qui était dit à tel ou tel en réponse à un problème strictement particulier, et ce qui était de portée générale. Il faudrait, enfin, être sûr que la parole dite a été transmise sans altération, ce dont nombre de variantes, entre lesquelles les compilateurs disent avoir eu « à choisir », donnent à douter dans plus d’un cas. Non seulement « variantes », mais parfois « contradictions » dans la même page.
Le Maître spirituel
Toute œuvre publique, de ce fait, aborde le jugement du public, spécialisé ou non. L’auteur qui se fâche d’une critique, même injuste, même partiale, méconnaît cette légitime règle du jeu. Toutefois, l’auteur ici, d’ailleurs décédé, n’est pas M. Philippe, et la critique de M. Volguine, dans les Cahiers Astrologiques de mars-avril 1960, rejaillit trop, à mon avis, sur le Maître, pour lequel, d’ailleurs, il ne cache pas sa sympathie. « Les disciples ont transformé M. Philippe en véritable Maître spirituel ». L’ont-ils « transformé » ou « reconnu » pour ce qu’il était ?
Que des intellectuels et des occultistes de haute envergure, comme Lalande et Sédir, sans même parler de Papus, desservi par son masque de bon-garçonnisme et de « vulgarisateur », – que de telles personnalités (et j’en pourrais citer d’autres) aient lâché, védantisme, magie ou Kabbale pour reconnaître qu’il y avait en cet homme plus que de la magie ou du magnétisme et davantage que dans la Kabbale ou l’hindouisme, est un fait qui pourrait donner à réfléchir.
Encore que faisant de fortes réserves sur l’opportunité du livre de Haehl et de celui de Philippe Encausse – mais cela les regarde, eux, et non moi – je me suis décidé à écrire cette petite mise au point, tant à cause du sujet de ces deux ouvrages, qu’à raison de l’estime en quoi je tiens son critique. Que, pour moi, M. Philippe soit aussi « le Maître spirituel » ne fait pas question. Et il est assez grand pour n’avoir pas besoin d’être défendu par ma plume insignifiante. Assez grand aussi pour aujourd’hui, demain ou dans deux cents ans, peu importe ! se faire connaître, sans intermédiaire, à ceux dont l’heure aura sonné. Pour finir, je vais citer, à mon tour, une phrase de lui, que je sais authentique, littéralement : « Chaque race, comme chaque homme, ne peut saisir que l’aspect du Verbe et de la Vérité qui lui correspond. Donc, superflu de s’irriter chaque fois que nous voyons quelqu’un comprendre notre aspect du Verbe et de la Vérité autrement que nous. Pour ceux qui ne croient à rien, il n’y a pas à désespérer d’eux ou à se décourager : il faut plutôt se rappeler qu’en cette matière on commence toujours une fois. »
(1) Écrite en mars 1960. Alexandre Volguine est un astrologue du XXe siècle d’origine russe. Il fonda en 1938 la revue Les Cahiers Astrologiques qui parut jusqu’en 1983.
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