par Laflèche
Je viens de lire un livre passionnant : Les mains du miracle de Joseph Kessel.
Impossible de lâcher le récit. Un envoûtement littéraire où le temps s'arrête, où plus rien n'existe en dehors de la lecture dudit livre entre les mains.
Si vous pouvez trouver ce livre désormais introuvable ou presque, épuisé en librairie, achetez-le sur le champ et pour sa lecture prévoyez une journée afin de pouvoir vous plonger dans le bain de cette petite perle de 300 pages, récit d'une aventure saisissante.
De quoi est-il question dans ce récit authentique ?
Nous connaissons plusieurs cas de thaumaturges dont les noms sont restés célèbres au fil des siècles. La plupart du temps ils sont associés à des contextes religieux ou ésotériques parce qu'ils provoquent des cas de guérisons miraculeux. Il existe aussi des individus remarquables qui accomplissent de grandes choses, et pas forcément des guérisons mais dont l'action, parfois dans l'anonymat et dans des contextes très particuliers, notamment pendant les guerres, sauvent de nombreuses vies.
Le docteur Félix Kersten fut de ceux-là : un homme aux dons inhabituels et à l'étrange histoire ; il exerça la profession de médecin en thérapie manuelle ou autrement dit kinesithérapeute, même si la première formule correspond davantage aux dons extraordinaires de Kersten. Il a compté parmi ses malades les riches et les grands de toute l'Europe. À ceux qui avaient les moyens, il appliquait des honoraires assez élevés, aux autres, il demandait moins, les riches payant pour les pauvres en quelque sorte.
L'élève du docteur Kô...
Félix Kersten obtient son diplôme de massage thérapeutique à Helsinski. On lui conseille l'Allemagne, il s'y rend. Un professeur de la faculté de Berlin lui dit un jour : « Venez dîner à la maison, ce soir. Je vous ferez connaître quelqu'un qui vous intéressera ».
Kersten découvre un vieux monsieur Chinois qui se borne à hocher la tête et à sourire sans fin. Le docteur Kô avait grandi dans l'enceinte d'un monastère du Tibet. Il était initié, en particulier, à l'art millénaire et subtil des masseurs.
Le médecin-lama interroge sans répit Kersten, il lui dit : « allons bavarder chez moi ».
Une fois chez lui, le médecin chinois demande à être massé par Kersten. Félix Kersten s'applique à pétrir le corps léger, jaunâtre, fragile et desséché du vieil homme. Puis termine, satisfait de lui-même. Le docteur Kô remet ses habits, fixe Kersten et lui dit :
– Mon jeune ami, vous ne savez encore rien, absolument rien. Mais vous êtes celui que j'attends depuis trente ans. J'attends depuis l'époque où je n'étais qu'un novice, un homme de l'Occident qui ne saurait rien et à qui je devrais tout enseigner.
C'était en 1922. Les journaux commençaient à parler d'un illuminé délirant : Adolf Hitler. Et parmi ses séides les plus fanatiques, ils citaient un instituteur qui s'appelait Heinrich Himmler. Mais ces noms n'avaient aucun intérêt, aucun sens pour Kersten qui découvrait, émerveillé, l'art du docteur Kô.
Plongé dans l'Allemagne en folie...
Une fois instruit par Kô, Kersten poursuit sa carrière et plusieurs années passent.
Un jour, par une étrange et – pourrait-on dire – fâcheuse rencontre avec un riche industriel Allemand, auquel il prodiguait des massages, Kersten est mis en relation avec Heinrich Himmler avec qui l'industriel avait des échanges à la fois professionnels et amicaux. Oui, vous avez bien lu : le grand inquisiteur de l'Europe d'Hitler ; Heinrich Himmler ! Comment peut-on accepter de soigner un tel individu ? L'expérience humaine est plus complexe que nous le supposons et en présence du docteur Kersten, l'impossible même se trouve résolu. Obéissant à une intuition, à un appel inconnu – son initiation par le docteur Kô n'y étant pas étrangère – le docteur accepte de se glisser dans une logique folle qui va consister à soigner Himmler de façon journalière pendant toute la période du deuxième conflit mondial. Et, semaine après semaine, mois après mois, en échange des soins prodigués à Himmler, devenus totalement indispensables à ce dernier, Kersten va demander la libération de nombreuses victimes du nazisme.
C'est lorsque Himmler souffrait de douleurs d'estomac d'une intensité paralysante et qu'il se trouvait dépendant des mains de Kersten que ce dernier lui glissait à l'oreille d'une voix profonde et hynoptique la possibilité de délivrer tel ou tel de ses connaissances impliqués dans diverses rafles de l'Europe. Il y a deux explications au fait que Kersten ait des connaissances partout en Europe, d'abord de part sa clientèle nombreuse et aussi du fait que le médecin a réussi à se glisser progressivement dans l'antre du Reichfürer, à obtenir la confiance de celui-ci à force de le soulager quotidiennement par le massage, au point même d'avoir son courrier personnel directement acheminé dans le bureau de Himmler sans qu'il soit contrôlé, chose exceptionnelle ! Cette astuce a permis à Kersten de questionner ses amis dans différents pays, qui par retour de courrier, l'informaient d'un certain nombre de prisonniers retenus dans des camps. Le miracle, c'est que Kersten, les mains sur le ventre de Himmler réussissait à glisser à l'oreille de celui-ci le nom des prisonniers. Et Himmler, lorsque les douleurs quittaient son corps disait qu'après tout il pourrait faire quelque chose pour ces gens puisque le médecin l'avait demandé.
La complicité entre les deux personnages va en augmentant au cours du récit, et les conséquences invraisemblables de cette relation, je vous les laisse découvrir dans votre future lecture.
À la lecture de votre article, face à ce personnage étrangement humain, votre récit me conduit à une perception nouvelle du rapport de l'homme avec la vie. Nous voyons à quel point il est dangereux de juger selon les apparences. Cet homme n'est plus dans l'affrontement du bien et du mal. Nous pouvons imaginer à cette époque ce que devait être la situation dans toute l'Europe. Au lieu de choisir le combat dans la dualité, (le bien contre le mal) il met en place, d'une façon toute naturelle, la transformation du mal en bien, avec l'accord du bourreau qui est de la plus terrible espèce que l'humanité ait connue. Par de tacites connivences, il réussi à négocier son contrat avec pour rétribution la vie sauve de victimes qui échappent ainsi au sort terrible qui leur était réservé.
Tout cela se fait sans réaction de résistance, de défense ou d'agressivité. Il reste présent à la vie qu'il reçoit avec tous ceux que le destin a mis sur sa route.
Il est tragique de constater que de nos jours encore trop nombreux sont les êtres qui restent prisonniers de la haine laquelle nous montre nos limites et nous invite à grandir.
Rédigé par : Rubys Botréras | 06 mai 2009 à 18:15
Pour votre information, après tant d'années pour le dénicher chez un éventuel bouquiniste et à prix d'or, cet ouvrage a été réédité en mars 2013, chez Ed° Folio- Livre de poche.
Remarquable sentier de la charité, dissimulé dans l'une des pages les plus noires de notre humanité.
Au milieu des pires ténèbres, brille toujours une once de Lumière.
Toute interprétation ou suggestion seraient inutilement superfétatoire.
Bonne lecture.
P-G
Rédigé par : P-G W... | 25 juillet 2014 à 09:53