par René Dambert
Je n'aime guère cette « humilité » qu'on loue et qu'on appelle à grands sanglots mouchés dans les cercles religieux. Pour tant la demander, il faudrait d'abord avouer qu'on ne l'a pas, qu'on est sourdement bourré d'orgueil, et cela, c'est généralement le cas de ceux qui se veulent humbles.
D'où vient donc cet orgueil avec lequel l'Adversaire nous mène par le bout du nez, depuis si longtemps ? C'est d'abord un tout bête mais très explicable sentiment de défense. Pour peu que nous ayons deux sous de bon sens, nous savons à quel point nous sommes faibles, limités, petits dans l'espace et dans le temps, soumis par eux aux vicissitudes de la souffrance et de la mort. Pour tenir dans cette situation précaire, équivoque, étirée entre ciel et terre – mais bien plus près de la terre... – nous avons un besoin naturel de paraître, de projeter devant nous la figure, la silhouette d'un être un peu mieux que le vrai.
L'orgueil est pourtant bien à tuer – avant qu'il nous tue – et l'humilité à louer, pour qu'elle nous sauve ; mais, là aussi, il y a le ton. Il ne saurait être celui de Tartufe. Nous savons, depuis Molière, que c'est lorsque ce personnage baisse l'échine qu'il prépare ses plus mauvais coups. « Voyez comme je suis humble » est caricatural. « Voyez comme je veux le devenir » l'est à peine moins. Comme il est difficile de garder un peu de confiance et de naturel dans la situation qui nous est faite !
Le paon est certainement l'animal le plus bête, le plus beau et le plus ridicule de la terre. Quelque dieu de la nature l'a pourvu de cette demi-couronne mordorée qu'aux heures de liesse il déploie comme un arc-en-ciel pendu à son croupion. Alors il piétine de droite à gauche et de gauche à droite pour énerver sa paonne et les pelouses du château. La grande vedette du Casino de Paris ne procède du reste pas autrement. Quand le spectacle est fini, le paon se surpasse. II crie : « Léon, Léon » d'une voix de baryton enrhumé et, très, très satisfait, range enfin sa batterie caudale. Regardez-le au repos : la majesté de sa démarche, cette queue repliée qui pèse et traîne le rendent aussi ostentatoire que pendant la roue. Voilà peut-être pourquoi il vaut mieux porter son orgueil au grand jour que le dissimuler.
J'accuse beaucoup ceux qui eurent à diriger des consciences, au nom de Dieu, d'avoir truqué leurs cartes. Il fallait jouer, certes, et sans grands atouts humains. Pour le fretin, on utilisa beaucoup la culotte ; si j'ose dire aussi vertement les choses. Le péché de chair étant des plus répandus, à confesse on en entendit de gratinées. « L'élite », on chercha à la maîtriser à l'étage au-dessus : on lui fit – et c'était joué gagnant – le coup de l'orgueil. On lui dit en gros que l'homme n'est à côté du Seigneur que de la crotte, ce qui est juste, mais on s'arrogea souvent la place de Dieu, et tel prêtre, tel moine, tel spiritualiste éminent aplatissait son homme par ce tour de passe-passe. Qu'on s'agenouille devant l'autel, quoi de plus beau, qu'on s'agenouille devant celui qui le dessert, je ne dis pas non quand c'est le curé d'Ars. Pour les autres, qu'ils m'excusent, c'est beaucoup !
La religion n'a pas à être rassurante à l'excès ou « condamnante » à l'excès aussi. Il est bien de n'enfreindre aucun commandement ; mais comme, c'est difficile, peut-être vaut-il mieux s'attacher d'abord au commandement majeur qui est d'aimer Dieu et son prochain. Dieu ne Se préoccupe guère de ce qui est petit et voilà pourquoi les religions « sexuelles » m'ont toujours paru assez ridiculement assises. Il se préoccupe bien davantage de l'orgueil parce que c'est par là que nous fautons, que nous avons fauté et que nous fauterons. Mais il ne demande pas le plat ventre des disciples du Prophète. Il nous invite à Lui rendre hommage et à Lui parler, à Lui demander et à Le remercier. Il nous demande aussi d'aimer ce monde, ce qui est tout un.
Aimer, c'est lever la tête et regarder en face les joies et les peines. C'est à travers nous qu'Il les regarde aujourd'hui. Si tartignolles que nous soyons la plupart du temps, il est sacrilège d'oublier qu'Il nous a faits à Son image. Jésus avait un immense amour pour les hommes, on le sait ; ce qu'on sait moins, c'est qu'Il les respectait, qu'Il ne piétinait pas leur liberté, qu'Il comprenait leurs faiblesses et attendait que « ça passe » simplement, amoureusement. Pourquoi, en Son nom viendrait-on encore nous assommer de la morale la plus archaïque et la plus fausse ?
Péguy, ce juste, conseillait aux hommes de dormir la nuit parce que Dieu sait bien toutes les bêtises qu'ils ont faites et qu'Il a déjà pardonnées.
Bulletin des Amitiés Spirituelles, avril 1971.
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