par Chappuis
« Soyez parfait comme votre Père est parfait. » (Matth. 5-47)
Selon le Petit Robert la perfection se situe sur le dernier barreau dans une échelle de valeurs. Mais alors qui définit le nombre de barreaux et par là positionne le dernier ? Dans cette optique-là, il me suffirait alors d'en connaître la position et de l'atteindre ; il me faudrait gravir successivement les différents échelons avec un entrainement adapté. Ainsi la perfection n'est qu'une définition humaine fonction des ambitions humaines.
Il nous arrive parfois de qualifier de parfait l'ouvrage de quelqu'un parce qu'il correspond alors à une série de critères que ont été élaborés par nous ou par d'autres. Mais est-ce l'aboutissement qui fait le chef d'œuvre parfait ou est-ce tout l'ensemble de la démarche pour atteindre l'objectif qui devient « perfection » ?
La définition de Robert s'accommode assez bien avec le relatif lorsqu'elle en conserve son « essence », mais devient vite contrainte lorsqu'elle n'aboutit qu'à la reproduction fidèle et perpétuelle d'actions pour aboutir à un modèle figé. Ces différents degrés d'élévation (puisqu'une échelle sert à cela) deviennent des enjeux potentiels pour la maîtrise des hommes que l'on estimera par exemple en fonction de leur position, quelle qu'en soit la nature. Il y a du coup naissance d'un sentiment d'envie, sentiment de vouloir être le meilleur, d'être sur un barreau au-dessus, voire d'être parfait, mais, telle que je conçois la perfection bien sûr !
On sent bien ainsi que cette définition laisse comme un sentiment d'imperfection ; il manque quelque chose. Nous avons alors l'impression qu'il suffit d'ajouter un barreau supplémentaire à notre échelle, une exigence nouvelle quant à l'obtention de cette valeur supplémentaire, et ainsi de suite... Ainsi naît la notion de limite, au sens mathématique ; elle ne peut pas être atteinte, car alors elle perdrait son statut de limite et ne serait que le dernier échelon d'une série finie.
Cette tentative perpétuelle d'élévation à laquelle on se contraint ainsi, calquant le plus souvent nos actions sur des modèles forcément plus anciens – donc « parfaits » – aboutit à la calcification. Nous devenons cassant, avec nous-mêmes et avec les autres. La peur de n'être pas à la hauteur (du dernier barreau il va s'en dire), nous fixe sur le mode d'emploi.
Un jour, surement, les barreaux étant usés, nous redescendrons tout en bas !
« Soyez intègre comme votre Père (...) est intègre. » (Matth. 5-47 trad. Chouraqui)
L'état humain de totalité est pour moi une « complétude » et non une « perfection ».... (Jung)
La traduction de Chouraqui, comme le regard de Jung, nous offre un autre horizon. Intègre c'est être entier. Nous sortons de cette logique linéaire évoquée, pour découvrir la reconnaissance de notre totalité. Car oui le Christ nous invite à être UN comme Son Père est UN. Et cette Unité-là est la Totalité même.
La somme de toutes les unicités n'est pas la Totalité, elle reste somme humaine. Et dans chacune des parties il y a la signature de la Totalité.
Après le temps de la dispersion (involution) vient le temps du rassemblement (évolution). Nous partons, pérégrins sur les chemins, rassemblant tous ces morceaux épars qui nous font nous-mêmes.
Nous apprenons ainsi à ouvrir les yeux sur ces facettes. Cela ne se fait pas en un jour, bien qu'un seul jour suffise. Oser se regarder n'est pas de la complaisance ou du morbide nombrilisme, c'est prendre le temps de l'introspection, le temps de connaître et de reconnaître tous ces « moi » qui pensent, qui parlent, qui agissent, d'en voir les différences, d'unifier, de rassembler leurs énergies. C'est aussi vivre chaque moment comme complet.
Mais attention il n'y pas, là aussi, de démarche linéaire. Il s'agit d'un passage qui reste mystérieux, personnel, dont les évocations sont nombreuses, aussi bien dans la littérature que dans l'histoire spirituelle des civilisations, et je ne voudrai pas fixer votre attention sur l'une d'elles en particulier.
Et cette quête ne peut s'accomplir qu'en compagnonnage avec Celui nous dispensant le lien propre à ce rassemblement.
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