par Chappuis
« Qui est celui qui sait et connaît toutes choses ? Celui-là, mais c'est moi ! »
Aurelius Augustinus
Où l'ai-je rencontré ? Au détour d'un champ de cerisiers ; aussi sur un de ces sentiers perdus dans la montagne, rangée de buis à hauteur d'hommes – et Dieu sait s'il peut être haut ! Une fois il m'avait accompagné, un bout de chemin, alors que je gravissais le géant, couloir entre deux caillasses. Je l'ai aperçu sur une île, s'enivrant lui aussi des parfums musqués des cistes.
Oh ! Je l'ai rencontré un temps dans quelque ville, suivi dans quelque tripot – à moins que ce soit l'inverse. Peu loquace parfois, cela ne m'a pas surpris. Quelques mots lancés là où ça fait mal, et vite on tire la couverture, à soi bien sûr.
Cela m'est arrivé, et m'arrive, de le voir, invité chez quelques amis, un soir d'été, sous une tonnelle. Toujours attentif, un regard vif ; je l'ai écouté tant que le vin ne coulait pas à flot.
Que m'a-t-il dit ? Il répétait souvent mes propres paroles pour que peut-être j'en perçoive bien l'écho, aussi pour limiter cet effet pervers d'une sinusoïde de Bernouilli. Ah ! Ça, c'est un souvenir.
Hélas ! Étant plus gaucher à l'écoute, j'avais du mal à enregistrer ses paroles, leur contenu. Je m'arrêtai – non ! pas à l'emballage – à l'odeur musicale, à cette empreinte qu'il a toujours laissée dans nos rencontres. Certes il me répétait, dis-je, mais comme pour que je perçoive bien le son, le ton, – le notre, et oui ! - de ma voix. Pour que cela s'incruste jusqu'à l'agacement, comme ces machins qui se collent sur les galets à Marseille.
En public, ses propos ne s'adressaient qu'à moi ; à croire qu'il ne faisait pas attention à l'autre. Non, au contraire, c'était plus mû par un souci d'une remarquable amitié pour moi ; comme si parfois il me voulait le mot juste.
Ah ! Le mot juste. Juste pour qui ? L'auteur ou les auditeurs ? Charité étant bien ordonnée, pour moi bien sûr, vous avez compris. Car au fond, où à la surface des choses, ne se prolonge-t-on pas à l'infini sur les ondes de nos paroles ? Sans ressource, ou sans source les alimentant, elles se perdent et nous épuisent. Juste disais-je plus haut, en le disant tout bas. Qu'est-ce qu'un mot qu'on jette en l'air, à quelle aulne est-il mesuré ? Le mot, c'est ma bouche qui s'ouvre, aspire et expire le son. Il est juste si la vibration s'est accordé à ma note. Et c'est elle qui le mesure, l'estime dans la vérité ou le mensonge. Direct.
C'est un peut tout ce qu'il me racontait ou me raconte, car je le vois toujours.
Vous voulez savoir, la première fois ? Il me semble que cela remonte à mon enfance. Oui, pendant ma première enfance, je l'ai vu souvent, c'est une certitude. Je l'ai perdu de vue – où si peu vu – probablement jusqu'à l'âge où j'ai aperçu son reflet dans un premier regard féminin.
Il y eut des rencontres fortes cependant où il était plus que moi. Une fois, près d'un lac, où il m'a serré dans ses bras. Acerbe vision.
Le décrire ? Je ne saurai trop, car vous avez bien compris qu'étant souvent absorbé par son regard perçant et parfois par ses paroles magiques, je ne sais arrêter ses traits et son allure.
Je l'ai souvent invité à ma table, de travail ; et j'ai aussi séché quelques larmes avec lui, lorsqu'il m'invitait à prier. Devant les peurs qui me côtoient j'ai cherché en lui à comprendre ce qui me liquéfie. Dans ces moments-là d'errance, sur un vieux rafiot, il m'a toujours pris la main pour me conduire à son Maître, le Christ.
Ah ! Oui, il me reste à vous dire qu'il porte le même prénom que moi, « celui que j'avais avant, celui que j'ai, et celui que j'aurai toujours ».
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