par Maxime Arvant
Notre vie baigne dans l'invisible, dans l'incompréhensible, dans le mystère.
Le vieil ouvrier, si consciencieux qu'il puisse être, sait que son métier lui cache des secrets ; le taillandier sait qu'il y a des trempes qu'il ignore et il voit que tel camarade a un tour de main que lui-même ne possède pas. Tel contremaitre est aimé en dépit de ses brusqueries ou de ses exigences alors que tel autre, malgré ses amabilités, ne parvient pas à conquérir la sympathie de ses subordonnés.
Pourquoi ?
Parce qu'il y a autre chose que la volonté, l'intelligence ou le raisonnement. Derrière ce qui se voit il y a cet invisible dont le visible n'est que l'expression. Cet inconnu, cet indéfinissable, l'intuition nous le fait percevoir et assimiler.
L'intuition est l'aperception, le pressentiment d'une réalité essentielle ; c'est ce qui dans l'intelligence dépasse l' intelligence. Elle demeure en nous, plus profond que la conscience, jusqu'à ce que celle-ci soit parvenue, à force de travail, à construire un organe psychique capable de l'exprimer ; alors elle se formule en une idée, elle se traduit par un mot, par un geste qu'elle impose en le revêtant d'une autorité spirituelle. L'homme dès lors n'a que faire du raisonnement, il voit ; il ne croit plus, il sait ; la démonstration fait place à la certitude. Le stade des tâtonnements, des pénibles conquêtes est dépassé ; il vit sur le plan mystique, dans la liberté parfaite et dans la richesse sans fin du Royaume de Dieu.
Voyez l'artiste. À l'école il apprend à dessiner ou à modeler. Cette première éducation de l'œil et de la main est indispensable. Lorsqu'il a quitté l'école, il prend contact avec la Vie. Si quelque flamme alors palpite en lui, il ne copie plus ; son esprit contemple les types éternels du Beau : il laisse passer sur lui les souffles de l'idéal dont il est l'instrument, il subit dans toute sa personne les luttes que comporte toute incarnation de la splendeur spirituelle. La Beauté sature son être et un simple trait de son crayon suffit à nous émouvoir, à nous évoquer l'Infini. Cet artiste a quitté le plan spéculatif, il a pris pied sur le plan mystique.
Mais en face de la mystique vraie il y a la mystique perverse ; en face de l'intuition reçue directement de Dieu il y a l'intuition qui vient de Lucifer. Car Dieu à donné à l'Adversaire des pouvoirs égaux aux siens, afin que les hommes, également attirés par la Lumière et par les Ténèbres, restent entièrement libres de faire leur choix.
Le Ciel et l'Enfer nous sollicitent. Ils parlent à notre esprit immortel un langage ineffable, inaudible à nos oreilles de chair. Pour distinguer ces deux langages, il faut que notre esprit habite l'un ou l'autre pays : la Lumière ou les Ténèbres. Par conséquent il faut que notre personne, depuis notre conscience jusqu'à notre corps, œuvre selon l'une ou l'autre loi. Nous voilà ramenés à la nécessité de l'effort de chaque jour. Il n'est pas de problème de philosophie qui n'aboutisse dans la pratique à l'obligation du devoir quotidien. La Nature procède par évolution et non par révolution. Plus l'homme obéit à la volonté de Dieu, plus il se purifie et s'affine ; plus il est pur, plus son intuition s'approfondit ; plus son intuition est divine, plus elle inspire son existence, plus facilement elle lui fait discerner la volonté de Dieu.
La vie d'un tel être ressemble à une descente de l'Absolu dans le Relatif. La fidélité au devoir quotidien développe en lui l'intuition du divin. Son existence est toute inondée de Lumière ; il met de l'Esprit dans les tâches les plus banales, car, ce n'est jamais pour lui qu'il travaille mais pour Dieu. Il reçoit des directions pour les événements les plus insignifiants en apparence, car il n'est pas de domaine où ne se manifeste la sollicitude du Père. Des inspirations lui sont envoyées qui le mettent à l'abri de l'erreur. Il sait immédiatement les véritables besoins des êtres qu'il rencontre et le Ciel lui donne le nécessaire pour y répondre. Il s'élève à mesure qu'il rayonne les lumières reçues. Son humilité est profonde, car l'orgueil étoufferait la voix intérieure qui le conduit ; il mène un combat perpétuel et acharné contre l'égoïsme, car il sait que « celui-là seul qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ». Les douleurs, les déceptions, les ingratitudes qu'il rencontre à chaque pas le détachent du temporel et l'enracinent dans l'Absolu. Son intuition devient un écho de plus en plus fidèle du Verbe, jusqu'à ce que, parvenu au zénith de cette ascension, il puisse répéter la grande parole de l'apôtre : Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi.
Bulletin des Amitiés Spirituelles, août 1919.
Commentaires