par Cornélius
Les fragments des souvenirs (1) d’Andréas forment ensemble un récit stupéfiant pour quiconque s’intéresse de près à l’ésotérisme. On découvre chez le conteur, la figure même de l’Adepte le plus accompli que l’on puisse trouver en Occident. Ayant dans sa jeunesse dépassé tous ses condisciples dans la queste, soutenu par son orgueil et sa volonté, il est parvenu comme Dante à gravir une pente sur laquelle depuis des siècles nul Européen ne s’était aventuré. Cependant, même si ces efforts volontaires sont titanesques, ils conduisent notre surhomme à une impasse. Cette première période de recherche héroïque n’est pas vaine pour autant, mais elle sera particulièrement longue : elle durera une trentaine d’année.
Aventurier de l’Absolu, l’intrépide Andréas essaya par tous les moyens de soulever le voile jusqu’à expérimenter les initiations les plus puissantes, mais aussi les plus sournoises. Muni des Lettres magiques, et d’un ancien article paru dans la revue Initiation (octobre 1904), il nous a été permis, sans un risque trop grand d’erreurs, de donner une suite logique aux chapitres de ce livre traitant des voyages de jeunesse d’Andréas. Une fois le récit de ces pérégrinations reconstitué, on saisit beaucoup mieux la profondeur et l’intensité de la grande crise qu’a traversé notre héros. Ses remises en question, ses troubles, les terribles épreuves qu’il évoque, éclairant chez le docteur sa propre situation, saisiront peut-être aussi l’Ami lecteur.
Remarquons d’abord, que pour l’intelligence de la narration, Sédir choisit de superposer les cheminements du docteur, la voie de Virgile, celle de la raison éclairée par la philosophie et la science, avec ceux d’Andréas, l’adepte des pratiques orientales. Au temps de Barlet, de Marc Haven ou de Papus, n’était pas « occultiste » qui voulait ; il fallait d’abord posséder de solides notions scientifiques et philosophiques sur l’homme, la nature et même en histoire, avant de pouvoir étudier les sciences maudites qui sont censées être exactes ; à la seconde étape, si l’on faisait preuve de qualités morales suffisantes, on pouvait aborder les travaux pratiques afin de vérifier l’exactitude de la théorie. Le docteur marque cette première étape théorique, et Andréas la seconde plus expérimentale.
Mais voyons le résumé de cette jeunesse. Aussitôt libre des écoles et des conseils de famille, le jeune Andréas court visiter l’Inde qui l’émerveille. Attiré par les légendes qui courent sur le bassin septentrional du fleuve Salouen, il se repose un peu à Rangoon et se libère bientôt de son attirail de jeune explorateur pour se revêtir de la robe de moine bouddhiste. Attaché comme novice à un bonze contemplatif, le voilà en route pour des ermitages perdus jusque dans le voisinage des Lolos. Cet engagement est encore superficiel ; il ne suit pas totalement les préceptes de son supérieur et se met rapidement en danger. Au cœur de la jungle épaisse du Tonkin, infestée de bêtes et de dangers, notre audacieux frôle la mort dans des rapides et finit pas se retrouver sous les griffes d’un tigre. Au paroxysme de l’angoisse, son appel vers le Ciel est violent et direct. Bien que le cas soit désespéré, un inconnu se manifeste sur-le-champ et le sauve miraculeusement.
Cependant, ce premier voyage en Orient est sans doute une première désillusion, car il ne parvient pas à lever le voile qui recouvre le visage sibyllin de l’Asie. Sans doute est-il revenu, comme Ouspensky, déçu parce qu’il avait senti « [...] que le secret était gardé bien plus profondément et bien mieux qu’il ne l’avait prévu ».
Revenu en occident, il s’abandonne aux fastes d’une vie de dandy, se passionne pour l’art et l’alchimie. C’est à cette époque qu’il rencontre probablement la belle Stella, l’Amour de sa vie. Les fraternités occultistes occidentales, au sein desquelles il espérait trouver une lumière certaine, se révèlent être des parlottes où l’intrigue et les médisances ont libre court. Excessif dans son mode de vie, il se retrouve bientôt ruiné ; les métaux le lassent aussi au bout de plusieurs années et le laissent dans un dénuement à peu prêt complet. Il apprendra bien plus tard que les vrais secrets de la Nature se dévoilent à la conscience dans la mesure où l’être se perfectionne sur le plan moral. Andréas est contraint d’abandonner ses recherches, le Grand Œuvre est trop grand, il n’est par mûr pour les travaux hermétiques du Parergon, malgré sa force de caractère faramineuse. Son orgueil lui barre le chemin.
Il essaie ensuite de retrouver la pureté et l’union adamique grâce à la voie de l’amour. Stella possède les qualités extrêmement rares de la floraison alchimique pour être la Vénus magique parfaite, son visage est d’un éclat incomparable, son regard et son sourire sont d’un charme magique, elle est l’image de l’harmonie et de la beauté sereine. Cette compagne délicieuse possède une sensibilité si exquise qu’elle peut s’évanouir pendant le sacrifice. La passion des nuits voluptueuses dédiées à l’Éros Roi, authentiques envolées tantriques, avec la bien-aimée au cœur pur, ne suffisent pas cependant à retenir l’intrépide Andréas. Avide d’études et d’aventures, il choisit de repartir en Orient au prix d’une séparation cruelle. Confiant dans sa bonne étoile, sa détermination inaltérable et ses capacités extraordinaires, il est prêt à défier solitude, misère, et les pires obstacles, pour parvenir à ses fins. Délaissant l’Amour pour la Science, il prend l’ombre pour l’objet, et s’élance, à cœur perdu, vers les royaumes inconnus du néant.
Alors que Stella, elle, restera à l’attendre en silence et cheminera d’une manière bien moins spectaculaire mais tout aussi profonde : pour elle le vaisseau est intérieur. Il s’agit de l’humble travail au foyer et l’obéissance aux devoirs et aux exigences de la vie quotidienne, la plus puissante des forges.
Voilà donc notre héros reparti en Inde pour étudier les sciences naturelles et forcer un destin exceptionnel qui durera plus de vingt-deux années (2). Cette fois-ci il est bien déterminé à pénétrer derrière l’éventail des sens, et s’acharnant, il va finir par réussir à lever le voile d’Isis. Mais à quel prix ! Sur un autre plan, Andréas ne le sait pas encore, mais son esprit va retrouver les traces, en de nombreux endroits, du plus noble des voyageurs anonymes. Cet itinéraire déterminé il y a 2000 ans pour les besoins de la planète, peut être retrouvé par celui dont le désir d’absolu est fort. Ce qui est le cas d’Andréas ; il va suivre inconsciemment certaines lignes de forces et de vie que la Terre ne peut s’assimiler que par décret divin.
Ayant noué à Paris des intelligences avec des Hindous, il débarque dans un petit port de la côte Malabar, au sud de l’Inde, et est emmené dans un temple shivaïte majestueux, caché sous une végétation luxuriante, dans la chaîne montagneuse des Ghattes. Là, dans une crypte souterraine, il est initié à la physique ancestrale des Brahmes et à la très secrète Gupta Vidya. Son guide nommé Sankya-nanda l’introduit dans différents cercles et lui permet d’assister, sur d’anciens lieux saturés de puissantes forces telluriques, vénérés par les Celtes, à différents rites qui allument le feu de l’En-Bas et permettent de percevoir dans les replis de la matière, les plus terribles créatures.
Disons-le tout de suite, l’usage de ces pratiques oubliées est interdite trop dangereuse ; ces expériences lui coûteront presque la vie. Il comprend alors combien il est imprudent de déranger des êtres qui sont derrière le rideau, car leur sensibilité est fine, et l’esprit qui s’aventure dans un appartement y laisse toujours des cellules de son être. De même que la science prouve aujourd’hui qu’un assassin laisse toujours des traces sur le lieu du crime. Quels que soient les différents moyens d’extériorisation, avec ou sans l’usage de drogues, les cellules se retrouvant dans des endroits où elles n’ont pas leur place, sont autant de chaînes pour l’homme. Quiconque veut arracher à la nature ses secrets, lie des « pactes » tacites avec des créatures aux puissances titanesques qui se nourrissent de l’être psychique de l’homme (3). Ces expériences inimaginables et ces entraînements impressionnent fortement Andréas, mais finissent par l’épuiser, car Européen, il ne possède pas la plastique des Hindous et au final ne parvient pas à tirer de toutes ses expériences des conclusions satisfaisantes.
Quiconque réussit à forcer les portes de l’Invisible n’en ramène pas grand chose, ou des matériaux inutilisables. La nature, très ingénieuse lorsqu’il s’agit de se développer, aurait permis la croissance accélérée de certains organes supra-sensoriels, mais la constitution humaine étant un organisme extrêmement compliqué, l’initiation exige de tout modifier ou de ne rien changer du tout, au risque de déséquilibrer son psychisme et sombrer dans la folie ou pire, la mort. Malheur à ces aveugles qui guident les autres vers ces fondrières !
Mais Andréas ne s’arrête pas là, il cherche encore. Muni de lettres d’introduction, il remonte vers Bénarès dans l’espoir de développer ses facultés d’observation et de réflexion qu’il juge alors insuffisantes et tente de découvrir l’âme hindoue en s’initiant à ses formes actuelles. Mais là encore, il se heurte à des antinomies insolubles et manque de revenir à la vie des sens la plus vulgaire, et sombrer dans la concupiscence comme bon nombre de gourous.
Au fil des mois et des expériences vécues, les ressorts de sa volonté se détendent doucement. En fait, il manque de documents, mais il ne le saura que plus tard. Selon Sédir, en toute étude, il y a deux points de vue : l’inférieur, naturaliste et analytique, et le supérieur, spiritualiste et synthétique. Il ne découvrira qu’à la maturité qu’il existe un troisième point de vue, que Stella a déjà trouvé : le point de vue central, cardiaque, le véritable.
Il quitte les Ghats du bord du Gange, pour les vallées abruptes et perdues du Bouthan. Ce petit royaume toujours préservé est d’autant plus important qu’il fut visité, en 747, par le maître Indien Padmasambava, fondateur du bouddhisme himalayen et de la tradition terma. C’est alors, si notre reconstitution est juste, son premier séjour dans la demeure des neiges. Nous ignorons tout de ce séjour himalayen, nous savons seulement qu’il y est initié par les « bonnets rouges » et qu’il y apprendra leur chiromancie si spéciale. Intuitivement, nous pensons que Sédir fait alors référence aux lamas issus de la lignée traditionnelle « des dragons du tonnerre », mais l’affirmer serait présomptueux.
Plus tard, il redescend vers les jungles humides de Sumatra et de Java, fragments de régions oubliées et dispersées du continent Lémurien enseveli, pour y apprendre la magie ancestrale de ses sorciers noirs. On trouve dans le récit d’Andréas quelques traces discrètes de ces pérégrinations avec des chasseurs dans la jungle : il doit s’agir des sorciers traditionnels dukhuns qui peuvent chercher pendant des mois la perle rare, au point de réussir même à la trouver dans la tête de l’animal ! On peut donc imaginer, sans un trop grand risque d’erreur, qu’il accompagna aussi les wisita-balian (4) dans leurs déplacements à la recherche de la plante rare ou dans leurs retraites perdues.
Il retourne ensuite à Bombay, puis à Ceylan, où l’on trouverait encore des vestiges du culte solaire de Ram. Il remonte ensuite par la côte de Coromandel, où il goûte le charme doux des plages, le tohu-bohu des ports, jusqu’au Siam. Durant ces voyages, sa route croise quelquefois celle d’autres voyageurs comme Hamirra Bhangor, un charmeur de serpent, ami du célèbre Nana-Sahib.
De l’Inde, il passe en Chine, et traverse la vaste province du Yunam. Sédir ne dit pas grand chose non plus sur ce séjour, on sait seulement qu’elle lui permet d’apprendre les caractères Wu-wang, et de pénétrer dans différentes sociétés secrètes chinoises et sans aucun doute les Hung. Lorsqu’on relie le chapitre Le Chinois, on a le sentiment qu’Andréas a vécu plusieurs années dans l’Empire du Milieu.
Du Siam, il atteint enfin Lhassa, la capitale impénétrable du lamaïsme où il séjournera, après un grand circuit en Chine, en Mongolie et à Kiachta, la célèbre oasis indo-européenne située sur la frontière russo-chinoise, carrefour des civilisations. C’est sans doute en redescendant vers le Sud qu’il se fait initier par les montagnards du Nan-Chan à l’origine mystérieuse, au cœur discret de l’Empire du Milieu, l’un des « temple sans porte », forteresse vénérée des initiés de toute l’Asie.
Arrivé au Potala, la Rome asiatique, il a déjà reçu l’ordination lamaïque ; il devient l’astrologue en charge d’un petit temple et gravit rapidement la hiérarchie des lamas. Mais cette charge n’est pas de tout repos, notre occidental ne gagne jamais totalement la confiance de ses supérieurs. C’est durant cette longue période de doute qu’il recroise, après 20 ans d’aventures, le mystérieux envoyé du Ciel Théophane, cet inconnu qui l’avait sauvé d’une mort assurée des griffes du tigre. Cette rencontre va le conduire sur un autre sentier spirituel, non plus montant, mais descendant.
Candidat au siège de « roi » dans l’obscure hiérarchie du Potala, son ambition le fait vaciller et perdre sa paix intérieure. Il est alors chargé d’une mission diplomatique par le conseil circulaire dirigeant toute l’Asie et doit rencontrer l’empereur d’un grand empire d’Occident et convenir d’une alliance avec le Tibet (5). Ce voyage à travers les plaines du Turkestan est dangereux et épuisant. C’est là qu’il va souffrir des pires conditions climatiques. Neige, vents, canicules tanneront à jamais son visage. Il endure en fait après des années le cruel contrecoup de ses efforts de volonté et des dérèglements qu’il a provoqués dans l’Invisible. Il passe par l’antique Amarkanda et Kiev, des centres soufis et va sans doute jusqu’à l’oasis de Meyroub.
Une fois sa mission remplie, il revient au Tibet par l’Hindou-Kouch et va subir une série d’épreuves supplémentaires. En matière d’occultisme et de magie, comme nous l’étudierons plus en détail dans un autre chapitre, on subit systématiquement un jour ou l’autre les lourdes conséquences du moindre des travaux pratiques ; seule la théorie est exacte, mais l’addition dépasse toujours tout ce qu’on a pu imaginer. C’est là qu’Andréas va traverser la période de crise la plus intense de sa vie.
Dans les froids sommets neigeux, trahi par sa hiérarchie impitoyable, il échappe de justesse à une terrible avalanche. Parvenu au bord du précipice, il frôle en fait intérieurement la séparation entre sa conscience et l’âme. C’est le plus terrible des gouffres car il entraîne la seconde mort. Cette grande période de confusion intérieure, que les princes du Toit du monde appellent « enfer Vajra », est la plus terrible des tentations. Sachant trop de choses, ayant accès à trop de plans vertigineux, il peut sauter d’un paradigme à un autre. Mais dans cette danse chaotique, Andréas finit par perdre pied : il remet alors tout en doute et manque même de perdre définitivement ses repères moraux, ne distinguant plus le bien du mal, la lumière des ténèbres. Ne sachant plus si Dieu existe, s’il y a un sens à la création, et à sa propre vie, il sombre dans la plus noire mélancolie. La « libération » promise par le mental se révèle au bord du chaos, dans un cachot glacial, de Lucifer. De retour à Lhassa, une autre épreuve l’attend : le terrible jugement de ses supérieurs pour l’échec de sa mission. Comme le Christ dans le désert, il est conduit à subir les pires supplices psychiques et les trois tentations, ce qui le détourne définitivement de ce cercle d’Adeptes en qui il avait une confiance injustifiée.
Heureusement, le supplice est interrompu quelques semaines afin qu’Andréas reprenne quelques forces morales. La Providence lui envoie une fois encore, un secours, en arrêtant les conséquences trop lourdes du destin. Le Ciel lui accorde de partir avec la caravane chinoise du bel Ami de Dieu pour un voyage dans l’Inde. C’est la seconde fois que le Ciel le sauve d’une mort certaine. Ces rencontres marquent à chaque fois de grandes étapes dans le cheminement spirituel d’Andréas : ce sont de nouvelles naissances faisant suite aux morts intérieures correspondantes. Ce voyage paradisiaque dure 3 mois. Du Népal, ils rejoignent le Saran, le Behar, le Bardwan, puis ils se dirigent vers le Gange, jusqu’à Calcutta, empruntant un itinéraire rappelant celui du « géant d’acier » de Jules Verne.
Il lui faut cependant revenir une fois de plus aux cimes enneigées et vaincre l’ultime épreuve. Ce seront ses années les plus tristes, car il est encore prisonnier de sa réputation et ne parvient pas se libérer de ses chaînes d’apparat. La dernière rencontre avec Théophane lui a ravivé le souvenir de Stella, réminiscence de son amour passé, qui ne fera que grandir.
Progressivement, le grain se corrompt et se putréfie dans les ténèbres humides et froides de la terre couverte de neige. Le germe de lumière se nourrit ensuite silencieusement. « La germination exige que les enveloppes protectrices soient déchirées, que l’amande nourricière soit absorbée, cela ne va pas sans douleur ». C’est la grande période de découragement qui commence. Andréas tombe dans une indifférence de surface, dont lui seul connaît les amertumes et les mélancolies pleines de larmes. Il faut du temps pour s’observer froidement et s’oublier, il faut du temps pour reconnaître ses faiblesses. Enfin, à l’heure où il s’y attend le moins, au cœur du spleen, où secrètement sa volonté abdique, il se retrouve enfin, en face de cet Idéal en qui il a mis doucement toute sa confiance. La neige fond au soleil. La beauté de cette Réalité spirituelle dépasse tout ce qu’il a vécu jusqu’alors. C’est la cinquième fois qu’il rencontre son « bien-aimé », cette fois-ci, dans un palais, à la table du souverain de la cour d’Asie la plus fermée.
Cette rencontre est aussi soudaine qu’inattendue, c’est la plus sublime que l’homme puisse espérer sur Terre. Enfin il entend la voix du Verbe qui l’appelle et cela le bouleverse jusqu’aux tréfonds de sa chair. Il connaît la Vérité sur la divinité et l’identité du Christ. Cette rencontre, éclatante certitude, ancre définitivement le Verbe en Lui, et par là, la vie éternelle.
« Apprendre que l’on ne sait rien, que l’on ne peut rien, vérifier que le Ciel est là, en nous, que l’Ami nous entoure sans cesse de ses bras bénis », voilà la leçon des voyages de jeunesse d’Andréas.
Cette rencontre évoque un baptême spirituel, que Dieu peut donner en tout lieu et en tout temps. Qu’une seule des brebis soit égarée, rien n’empêchera jamais le Christ de la sauver et cela même si celle-ci est au fond du gouffre de l’enfer. Cette expérience intérieure « absque nube » est déterminante car elle lui fait retrouver le goût de la vie et la simplicité. Elle marquera son retour définitif vers le Père et vers la sublime Stella restée dans l’ombre d’une vie intérieure aussi ardente que méconnue.
En effet, de son côté, elle a choisi d’obliger sa volonté à obéir aux appels secrets jetés continuellement par la Providence. Elle a accepté sa place, et pourtant elle avance dans la queste du Graal. Le travail qu’elle a fourni au fil de ces années monotones n’en est pas moins plus riche, plus profond que celui d’Andréas, car plus intérieur. L’humble et simple personnage de Stella incarne alors dans ce roman, un degré supérieur dans l’Armée de la Lumière, car elle travaille au labour de l’âme, à une perfection intuitive de son devoir dans l’anonymat.
L’initiation évangélique est la plus simple du monde, la plus directe, mais aussi la plus difficile.
Nous terminerons ce commentaire sur toutes ces péripéties marquant cette première période que nous évoquions tout à l’heure, par la parole que lui dit un jour le mystérieux voyageur au cœur de l’Asie : « Laisse-toi conduire par elle ».
(1) Ndlr : Nous invitons le lecteur à relire les cinq chapitres d’Initiations suivants dans lesquels il retrouvera les bases de ce commentaire : Avalanche dans l’Hymalaya, La probation, Le tigre, Le Phap, À la cour.
(2) Ce nombre correspond au nombre exacte d’années qu’il a fallu à Sédir pour faire le tour des occultismes et s’en affranchir ; cette durée le rapproche une fois de plus du personnage d’Andréas. Il serait trop long d’étudier en détail ce nombre qui a toujours fortement inspiré les hommes. Ces particularités algébriques et géométriques le rendent sacré dans la plupart des traditions. Représentant le mouvement jusqu’à l’infini, et la manifestation de l’être dans sa totalité, nombre de lettres de l’alphabet hébreu, il a toujours été considéré depuis les sages qui étudiaient 22 ans dans les temples de Memphis, Diospolis et Héliopolis comme le nombre initiatique par excellence. Une des clefs numériques de ce nombre 22 indivisible par 7 se trouverait dans le nombre 21 qui le précède qui est selon la tradition rosicrucienne le nombre de degrés des substances principales de l’univers que l’homme s’approprie au fil de son évolution, et grâce auquel il peut vivre et se multiplier. Ces degrés peuvent être considérés comme des milieux d’évolution dans lesquels la nature était considérée comme homogène. L’Homme possédant en lui-même en germe ces 21 substances, il peut en développer les quantités par sa vie et son travail. Ainsi la première série de substances était matérielle, la seconde traditionnellement immatérielle et la dernière purement spirituelle, offrant ainsi à l’homme un champ de possibilités presque infini. Il reste cependant le dernier arcane, l’unité à ajouter, et sans quoi l’œuvre est coupée du vivant, la porte ouvrant sur le Royaume de Dieu, le dernier arcane qui a comme signification dans la tradition chrétienne : le verbe de Dieu, le Christ.
(3) Sages couchant leur pharmacopée sur des feuilles de palmier.
(4) Tout porte à croire qu’il s’agisse de la Russie puisque plusieurs agents ont eu pour mission de relier l’Empire de Russie et le Tibet avant la fin du XIXème siècle, ces tentatives sont restées infructueuses jusqu’à la première guerre mondiale.
(5) Sédir ne pouvait ignorer que ce prénom de Stella pouvait être liée à celui de sentus, nom latin de l’églantine. Stella senta , l’étoile sainte, la sainte Estelle des Félibres, évoque en effet, selon Pierre Dujols, la rose de Vénus formant une étoile ou une croix : la Rose+Croix. L’étoile du matin, l’aurore dans sa robe rose, signifie le retour à la vie et la régénération de l’homme. La similitude entre Stella et Béatrix est frappante lorsque on sait que c’est grâce à cette sainte femme que Dante peut gagner l’Empyrée, guide spirituel n’ayant cessé de regarder l’astre divin, ses yeux reflètent avec la plus grande pureté les feux de l’astre où brille la lumière de l’incréé. L’étoile, symbole de l’esprit, évoque cette splendeur éternelle, celle du paradis établi au dessus du mont Méru, et des hiérarchies divines. Stella pour conclure est l’incarnation de la contemplation de la béatitude, au cœur même des travaux de la vie.
Je voudrais vous féliciter pour ces articles successifs qui paraissent régulièrement depuis maintenant deux ans, consacrés à Initiations de Sédir. Par eux-mêmes, ils sont extrêmement intéressants à lire et permettent aussi d’accéder à une meilleure compréhension de cet ouvrage. Vous ne perdez jamais de vue le message que Sédir a voulu nous transmettre en écrivant ce livre si particulier. Votre remarquable enquête se poursuit inlassablement dans une direction précise malgré les détours consacrés à approfondir tel ou tel sujet (je salue au passage votre érudition). Inlassablement, vous nous ramenez au message du Christ qui semble, malgré tous les raffinements ésotériques dont regorge l’Orient, le seul qui puisse réellement nous aider dans notre quête de l’Absolu. Bravo d’oser affronter ainsi les mystères de l’Orient sans succomber à leur charme, avec une conscience aiguë de ce qui pourrait s’avérer être en définitive un charme vénéneux.
Rédigé par : Marane | 20 octobre 2010 à 16:54