par Marcel Renébon
Comme la poussière, l’inquiétude est partout et, comme cette ennemie héréditaire de l’homme et surtout de la femme, elle encrasse, elle vieillit, elle paralyse. L’inquiétude habite le journal, la radio, l’affiche où elle s’exprime en gros caractères menaçants : impôts, inondations, incendies, chômage et crime, elle s’habille de faits divers. Elle est aussi dans nos contacts directs avec les autres, avec nos proches surtout : que fera-t-il, que pensera-t-elle ? Elle est dans l’acte qui se propose, dans le résultat supputé. Elle est encore et surtout au chevet des malades et dans le cœur de ceux qui les aiment et les soignent. Ailleurs elle frôle, elle rôde, mais là, elle étreint, elle règne, introduisant par la grande porte noire son frère tout-puissant : le désespoir.
Toute la journée, comme la ménagère chasse la poussière, nous tentons de réduire l’inquiétude, de l’ensevelir sous le voile des travaux, des dérivatifs, des distractions. Ces petits moyens sont à la mesure de nos vaillances, ils sont un peu comme le cher vieux plumeau qui déplace la poussière, mais ne la fait pas disparaître. Y a-t-il donc des aspirateurs d’inquiétude ? Ah ! s’il en existait une bonne marque, comme ils se vendraient ![...]
La vie est un passage, une course, comme on dit en montagne, certes fatigante, mais sur des sentiers assez soigneusement repérés. Ce qui inquiète les marcheurs de la vie, c’est qu’ils ne connaissent ni la durée, ni les détours, ni les incidents de route. Mais s’ils savaient tout cela, voudraient-ils seulement démarrer ? Et que serait une vie sue d’avance, sans la relance de l’inattendu, l’excitation de l’imprévu ? Que serait aussi la liberté humaine si nous ne pouvions modifier le train ou l’itinéraire ? Mais, en montagne, j’aurais au moins, outre la satisfaction d’avoir « tenu le coup », le beau panorama du sommet, tandis que la vie se termine entre deux cierges et un chapelet dans le crêpe et l’eau qui, pour être bénite, manque tout de même un peu de bouquet. Cela, c’est le point de vue du demeuré sur place ; celui du défunt doit être différent. Il faudrait en être revenu pour le savoir, répondent les esprits dits objectifs. Bien sûr et c’est alors qu’intervient le choix, l’acte de foi.
Non seulement le Christ a fait publiquement l’aller et retour, dans les pires conditions, puisqu’Il avait volontairement revêtu Sa force de Dieu d’une peau d’homme, mais encore, sur Son ordre, plusieurs êtres l’avaient fait avant Lui, dont Lazare Son ami. Quelles preuves sont plus formelles pour établir l’éternité de la vie ?
Mais on ne meurt généralement qu’une fois ; en attendant, il faut bien vivre et l’inquiétude... C’est entendu. Parfois aussi le brouillard tombe sur les pas du montagnard qui s’égare, revient sur ses pas et finit par faire le gros dos en attendant que « ça se lève ». Mais Dieu est plus clément que la nature minérale ; quoi qu’on en pense de nos jours, Il est toujours là, caché dans la brume, attendant le cri de l’égaré, qui s’appelle, officiellement, la prière.
Le voilà, l’aspirateur à poussières... Instantané, rapide, peu encombrant, d’un prix fort modeste – une minute de confiance. Fonctionnement très simple, résultats garantis, pourrait dire une publicité dans le style d’époque. Mais c’est bien trop simple pour être vraiment accepté en ce temps où chacun prétend marcher sur les mains en gardant ses souliers aux pieds. Détail technique : l’aspirateur en question est à utiliser chaque jour, au moins une fois. C’est dire aussi que l’inquiétude, comme la poussière, revient toujours. Et, pour tout dire, sa raison d’être, c’est précisément qu’elle appelle la prière. Dieu ne pouvait pas faire autrement, en attendant que nous L’aimions.
Bulletin des Amitiés Spirituelles, avril 1960
Avril 1960... rien ne change au sujet de l'inquiétude cultivée par les médias en tout genre. Nous baignons dedans au quotidien. Je ne regarde plus le journal des mauvaises nouvelles à cause de cela et tente - tant bien que mal - de résister aux discussions pessimistes qui jalonnent les rencontres quotidiennes.
Beau plaidoyer sur la prière ; tout en précisant que le meilleur remède contre la peur est incontestablement l'Amour.
Rédigé par : Laurent | 27 octobre 2012 à 23:45