par Laflèche
Le Christ, ce jour-là, gravit une colline de Galilée, bien entouré par une foule de femmes et d’hommes. L’air doit y être pur, le décor somptueux, la rocaille chaude, les arbres millénaires tordus par l’aridité du sol. Aux côtés du Christ se trouvent des gens solides, terriens, avides de paroles réconfortantes, aux regards exigeants et pénétrants. Certains sont visiblement dans la gentillesse, dans la douceur. Ceux-là ont des vies chargées en deuil d’histoires récentes, anciennes, entremêlées. Celui-ci, qui mène la terre en héritage de son père. Cet autre, qui se sent malmené par ses frères, ou bien celui-ci qui se sent humilié. Celle-ci, qui offre son cœur sans calcul. Ceux-là, des parents qui toujours sans jamais démériter se sont fait faiseurs de paix dans leur entourage. Il y a celui-ci qui porte en lui la souffrance, qui a reçu des coups et qui malgré des efforts reçoit encore persécution et mensonge. Ce beau gaillard est bien planté là, dans ce décor pour écouter les paroles du Christ. Ce jour-là, Jésus s’adresse simplement aux personnes présentes sur cette terre de Palestine. Il n’empêche qu’il dit là le plus grand des enseignements porté à l’humanité depuis toujours. Il les considère avec amour. Il va leur dire huit fois le mot « Bienheureux ». Jésus prononce donc les Béatitudes.
Que veut dire le mot Béatitude ? Euphorie, bien-être, bonheur, extase, félicité, joie, paix, prospérité, quiétude... selon le dictionnaire. Un autre mot rime avec béatitude : c’est espérance.
Le Christ ne nous donne-t-il pas un tableau d’espérance ?
Par les Béatitudes, il décrit le merveilleux, il nous rapproche du Ciel. À nous qui aspirons à devenir meilleur, il montre le devant, il nous nourrit de rêves lointains. Il exhale devant nous un parfum exquis, un élixir qui diffuse en nous cette saveur du lointain magnifique qui est placé là sous nos pupilles, nos mains ouvertes et nos cœurs tout d’un coup sortis de leur torpeur terrestre, oui, ce nectar qui allume en nous le meilleur de nos envies, de nos capacités, nous poussant à l’impossible.
Vivant dans l’amour, peut-on imaginer qu’il dise en voyant la foule : « Bienheureux êtes-vous dans vos difficultés. Tenez-bon. Bon courage. » Ce serait un tableau bien glacial et bien réducteur pour qui incarne la totalité de l’Amour. Sérieusement ; Jésus, Il nous connaît bien ! Il sait que notre désir, c’est de Le suivre.
Il donne la paix à celui qui surmonte tous les obstacles. Il est là, maintenant, tout de suite, c’est donc la joie immédiate. Si j’ose faire le pas. Si j’ose, tout court. Le Christ n’est pas au bout du chemin avec un panier de récompenses.
« Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé. »
C’est vers le Christ que peuvent se tourner nos cœurs. Franchissons ce pas colossal. Du coup, Lui, Il nous accueille prestement et nous dit : « Vous êtes déjà dans la joie puisque vous êtes ici. Oui, je reconnais, les obstacles ne manquent pas. Je vous l’accorde. Mais nous marchons ensemble et vous allez désormais de l’avant avec ma parole. Quelque soit votre charge sur les épaules, nous sommes deux à la porter. Je suis là. »
Jésus accorde son intimité à ceux qui se donnent dans la simplicité de la foi et de l’amour, autrement dit, aux « cœurs purs ». La pureté morale ne suffit plus. Il y faut la présence active du Seigneur dans l’existence ; alors seulement l’homme est radicalement pur.
Lequel d’entre-nous peut tenir ces promesses ? De quels lointains horizons s’agit-il ?
Quel extraordinaire état que celui consistant à un tel degré d’intimité avec son créateur !
Jésus a-t-il demandé l’immédiateté des résultats ? A-t-il considéré chacun comme devant suivre le même type d’itinéraire ?
Nous avons à travers les Béatitudes une vision de notre accomplissement et une projection pour des siècles. Ceci posé, disons, en prenant une métaphore sportive, que notre souhait est d’aller un jour palper l’air des cimes au sommet d’une montagne. Après le choix du matériel et celui d’un guide, il va bien falloir commencer par se tester, si nous n’avons pas d’expérience dans la discipline. Quelle stratégie suivre pour se gouverner, pour savoir quel meilleur maniement du bâton adopter, faire attention aux rochers, aux crevasses, etc. ? Selon notre caractère, notre atavisme, notre énergie, nos rencontres, les choses diffèrent bien entendu. L’alpiniste peut étudier les cartes, avoir imaginé tous les obstacles, visualiser toutes les stratégies, avoir fait travailler les muscles, la respiration, il ne pourra pas s’observer pas à pas, avec minutie, dans l’action, sans risquer de se casser la figure. À un moment, quelque soit la qualité des méthodes et des apprentissages lus, intégrés et appris, il faut se jeter à l’eau, flirter avec le vide, prendre le chemin imprévu, se surprendre, faire à l’envers, autrement...
Celui qui vise le Ciel adoptera dans son itinéraire personnel une méthode, qui, selon les moments, sera plus séquentielle ou bien marchera au feeling comme on dit maintenant. Les deux façons étant bien entendu cumulables, interchangeables, à mixer, à alléger, à saupoudrer de petits imprévus selon vos goûts en matière de cuisine.
Voici une explication que l’on trouve dans Sédir au sujet du cheminement individuel, dans L’Éducation de la Volonté : « Si l’on peut s’accorder sur la finalité du résultat, il faut reconnaître la diversité des chemins accomplis par tous les individus (…) Quelque soit son état psychique, physiologique, quels que soient ses soucis, l’homme peut toujours, s’il le décide, agir selon l’amour. Une méthode prudente consiste à diviser le travail en tâches innombrables, à vouloir vaincre toutes les faiblesses de notre personne et donc logiquement d’exalter les vertus correspondantes. »
Mais il existe un autre chemin plus rapide ; c’est ce que Sédir indique dans la conclusion des Sept Jardins Mystiques :
« À partir de la présente minute, je me donne à Jésus ; je me donne tout entier ; je suis tout à Lui, je ne m’occupe plus que de Son service. Tout ce que je faisais jusqu’à présent, tous ces devoirs et ces travaux, je ne les accomplirai plus ni pour leurs bénéfices, ni pour l’amour de personne que de Jésus. Je n’accepterai l’amour de personne que comme un don du Père ; je n’aimerai personne qu’en Dieu, comme une œuvre de Dieu. Je sais que le Père est avec moi ; je ne m’inquiéterai plus de mon sort, ni dans le terrestre, ni dans l’Invisible, ni dans l’Éternité. »
Cette autre approche, un chemin donc plus direct, nous oblige à nous tenir de plus en plus près du Christ, à créer progressivement une intimité, pourrions-nous dire, de telle manière que tout ce qui nous est familier soit lié à la présence vivante de notre Ami.
Il n’y a plus souci de perfectionnement à ce moment-là, mais offrande de notre destinée au Christ qui en modifie l’ambiance, dans nos obligations, nos loisirs, nos efforts et notre détente.
Il est là et nous serons heureux de faire sa Volonté.
Sédir insiste en disant : « Voilà ce qui faut faire. Il faut le faire avec calme et avec optimisme ; il faut dire : En avant ! Et : Oui ! »
Sédir dit bien : « En avant ! » Or une traduction des béatitudes existe qui nous donne ceci : « En marche les humiliés, les endeuillés (...) En marche les uns et les autres quand on vous persécute (...) Jubilez, exultez, votre salaire est grand aux Ciels. »
En marche...voici un mouvement. Un déplacement des foules. C’est moins contemplatif. On se regarde un peu moins le nombril et on va bien quelque part avec les mêmes charges et surcharges, les mêmes soucis, les mêmes douleurs, avec nos défauts et nos qualités. Mais au moins, nous irons quelque part avec Lui.
Sédir, conclut, dans Le Sermon sur la Montagne : « Ainsi Jésus nous met en mouvement, nous tend vers un futur inextinguible, il nous apporte la très précieuse espérance, nous pousse à l’impossible, allume en nous l’inestimable nostalgie du Ciel. »
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