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Nous sommes forcés d’ouvrir une parenthèse pour expliquer comment et dans quel climat Maurice de Miomandre était en relations avec l’Ami de Dieu.
C’est chez Philippe qu’il avait fait la connaissance de Jean Chapas, lors d’un séjour qu’il fit à Lyon en 1897, en compagnie de Papus. Maurice de Miomandre avait alors 21 ans. Il était issu d’une famille limousine émigrée dans la principauté de Liège, lors de la Révolution de 1789 (1).
Il s’était rendu à Paris pour terminer ses études. Il avait adhéré au mouvement spiritualiste de Papus, mais il ne s’intéressait pas aux expériences de De Rochas et des « magnétiseurs ». Il cherchait une doctrine mystique. Papus l’avait emmené avec lui chez Philippe à qui il le présenta.
La rencontre du maître spirituel eut des conséquences étonnantes sur l’orientation nouvelle de Maurice de Miomandre.
Bien loin d’encourager celui-ci dans ses recherches d’ascèse intérieure, Philippe l’engagea à regagner sa ville natale et à s’intéresser à l’action sociale.
J’ai retrouvé dans les notes de Maurice de Miomandre une note exposant que Philippe venait de lui dire qu’il pourrait lui montrer plus tard bien des choses, mais qu’il fallait un peu de temps, environ trois ans, pour cela.
Notre père nous a raconté plus tard qu’il demanda au Maître un signe pour la convaincre. Philippe lui répondit que, « tel jour, à telle heure, il avait découpé au laboratoire de l’Université de Liège le sexe d’un crapaud ». Il lui demanda de ne plus faire de telles recherches. Ces précisions étonnèrent Maurice de Miomandre qui fut convaincu de l’autorité de son interlocuteur.
Avant qu’il regagnât la Belgique, Philippe lui parla encore de la guerre générale qu’il entrevoyait pour quelques années plus tard ; il annonça, entre autres, à son nouveau disciple, qu’il verrait la « course à la mer » (sic) et qu’il ferait son service militaire.
Malgré sa confiance naissante en Philippe, cette dernière affirmation l’étonna beaucoup, car il venait précisément d’échapper à l’obligation militaire en Belgique, selon la disposition de l’époque qui était basée sur un véritable tirage au sort.
Revenu à Paris avec Papus, il rentra peu après à Liège où il se lança dans l’action sociale par le journalisme et les conférences.
Le relèvement de la classe laborieuse dans l’état social et l’éducation, la lutte contre l’alcoolisme, prirent tout son temps. Il publia même un ouvrage sur le problème de l’alcoolisme, qui fut couronné en 1906 par l’Association Internationale contre l’Alcoolisme.
Après son mariage, en 1900, il revit encore Philippe, qui lui annonça une nombreuse famille (il eut six enfants). La mort de ce dernier en 1905 n’éteignit pas sa flamme. Au contraire, un incident plutôt mince au premier abord, allait lancer Maurice de Miomandre dans la bagarre militaire.
Chargé un jour, par le journal Le Soir, d’enquêter sur certains faits relatifs à l’insuffisance de l’armement des forts de Liège et d’Anvers, le journaliste découvrit une situation autrement grave que celle qu’il imaginait.
Dans toute l’armée belge de l’époque, personne ne songeait à rien, si ce n’est à parader. La Belgique était neutre et son statut avait été respecté par les belligérants en 1870, il ne fallait donc qu’une façade d’armée. Maurice de Miomandre se souvint des propos annonciateurs de Philippe, de son action en Russie pour l’entente franco-russe. Il décida de dégager sa conscience et entama la campagne du journal contre le gouvernement belge. Ses articles intitulés : « Sommes-nous prêts ? », dans Le Soir de l’époque, firent sensation. Ses révélations étaient tellement précises et irréfutables que le général Hellebaut dut abandonner son poste de ministre de la Guerre. Ce qui provoqua l’arrivée aux affaires publiques en Belgique du comte de Broqueville, qui réalisa en 1911 une réforme de l’armée belge. L’armement fut poussé à un point tel que, lorsque la première guerre mondiale éclata trois ans plus tard, la Belgique du roi Albert put défendre son honneur aux côtés de ses grands alliés. Ces faits appartiennent à l’histoire, mais qui connaît les mobiles réels des patriotes avant 1914 ?
Notre père vit donc la « course à la mer » qui lui avait été annoncée, quinze ans plus tôt, par Philippe. Il savait que la France sortirait victorieuse de l’épreuve.
Le jour venu de la récupération des provinces d’Alsace-Lorraine et de l’occupation du Rhin, il fut chargé de la direction des services de presse de l’armée belge en Rhénanie. C’est ainsi qu’il revêtit l’habit militaire de 1919 à 1922 et que se réalisa la dernière prédiction que Philippe lui avait dite dans sa jeunesse.
Nous avons dit plus haut qu’après ces événements, notre père avait revu Jean Chapas en 1919. L’atmosphère changeait. La maison de prière et de guérison de la rue Tête-d’Or à Lyon allait bientôt être fermée.
Jean Chapas avait consacré vingt ans de sa vie à ceux que son maître lui avait confiés, il l’avait fait avec toutes ses forces et toute sa foi, mais des incidents graves s’étaient produits, certaines personnes cherchaient ouvertement misère à l’em>Ami de Dieu et venaient même le provoquer dans sa propre salle.
Il avait donc décidé de mettre un terme à son action publique et de ne plus recevoir que des amis intimes.
Mais d’autre part, Jean Chapas, silencieux jadis, se mettait à parler, il annonçait aux amis qui l’interrogeaient avec anxiété sur la paix boiteuse de Versailles, qu’il y aurait d’ici peu de temps un nouveau conflit.
Nous avons trouvé les notes de notre père au sujet de ses conversations avec Jean Chapas en 1919. Il le vit du 11 au 16 septembre 1919. Je reproduis la note suivante :
Bien entendu pour comprendre ces notes, il faut remonter trente ans en arrière. L’Ami de Dieu voyait les choses de l’avenir dans leur aspect général. Tout, d’ailleurs, n’est pas terminé, car qui pourrait dire actuellement que notre continent est pacifié ?
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(1) La famille des « Myomandre » est originaire de Felletin, dans la Creuse commune de Saint-Pardoux d’Arnet. Elle essaima à la fin du seizième siècle dans le Limousin.
On trouve dans l’ouvrage de l’abbé Pateaux des précisions sur cette famille qui comptait, au XVIIe siècle, des avocats au parlement de Limoges ainsi que des conseillers et châtelains ou consuls de juridiction (XVIIe et XVIIIe siècles, par l’abbé Pateaux, Limoges. Impr. Ducourtieux, 1880, pages 73 à 94).
Sous le règne de Louis XVI, deux membres de la famille, deux frères, étaient attachés en qualité de garde de corps à la personne de Marie-Antoinette. L’un deux s’illustra par son courage à défendre le reine lors de l’attaque du château de Versailles, le 5 octobre 1789, par les émeutiers venus de Paris. Son frère, marquis de Chateauneuf, émigra dans la principauté épiscopale de Liège, où il fit souche, avant de disparaître mystérieusement lors d’un voyage à Paris sous le Consulat.
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