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Lorsque Jean Chapas eut définitivement fermé la maison de la rue Tête-d’Or, il accepta l’invitation de notre ami Émile Bertrand, professeur à la Faculté des Sciences de l’Université de Liège.
Il se rendit en Belgique en avril 1921. Il avait alors 58 ans. C’est à cette occasion que nous lui fûmes présenté. Comme on avait beaucoup parlé de lui et de Philippe dans la famille, nous prêtâmes à cette réunion un intérêt inaccoutumé.
C’était un homme de belle taille, vêtu simplement d’un complet noir, son regard était doux, au milieu d’un visage bruni par le soleil. Sa voix basse et profonde vibrait comme un violoncelle. Il émanait de tout son être une atmosphère apaisante qui nous surpris au premier abord, nous étions habitués aux vivacités de notre père éloquent et batailleur, Chapas en était l’opposé le plus évident.
Il nous donna sans tarder une profonde impression de sécurité qui ne s’est jamais démentie ; c’était en un mot un consolateur-né.
Les contradictions ultérieures de notre vie, le commerce avec de multiples personnalités n’ont pas aboli ce sentiment que lui seul nous ait jamais inspiré. Chapas parlait peu, mais par courtes phrases et avec une exquise courtoisie. Il répondait plus aux préoccupations intérieures de ses interlocuteurs qu’aux propos de ceux-ci. Cela créait parfois de véritables quiproquos que Chapas laissait aux autres le soin de dénouer car il était atteint d’une certaine dureté d’oreille et personne ne s’étonnait qu’il ait l’air de n’avoir pas entendu ! Mais combien de fois l’avons-nous surpris à redire une demande d’un malade qui ne lui avait parlé qu’à voix basse. Il faut admettre qu’en cela la nature le tenait simplement à l’écart de toutes les vanités et des propos futiles.
Si sa présence était la plus apaisante des rencontres, elle mettait aussi la conversation sur le terrain des nobles sentiments vrais et plaignait doucement tout ceux qui ne les ressentaient pas. Il ne dédaignait pas la plaisanterie et adorait taquiner ses amis sur le ton le plus jovial.
Ce qui nous frappa également, c’est le respect et le souci constant qu’il avait de la France, quels que soient ses gouvernements. Il voyait en elle la réalisation d’intentions providentielles, il disait que le Ciel la protégerait et que ses serviteurs s’y employaient. De cette tournure générale d’esprit n’émanait rien de pédant ni livresque : il ne lisait ni l’Évangile ni Péguy. Il était aussi ami avec Millerand qu’avec le tenancier du coin et donnait des conseils à un jeune ménage qui allait s’installer dans le même temps qu’il recevait le ministre de Pologne Sokal, qui venait lui parler de son malheureux pays.
Figure étonnante de simplicité. Il nous disait un jour avoir vu dans le nuage qui passait l’annonce de la chute de Poincaré (ce fut vrai le surlendemain). Figure encore plus étonnante de complexité. Il nous dit un jour « que s’il était interdit absolument aux occidentaux de faire de la magie, cette interdiction n’était pas pour les Orientaux, car Jésus leur avait donné, il y a deux mille ans, à certains d’entre eux, un enseignement propre à leur développement. »
C’est à la rencontre que je viens d’évoquer que se rattache le souvenir saisissant que voici : un soir avant de se retirer à l’hôtel, Léon Mengeot, qui recevait Chapas lui demanda de dire la prière en commun. Il accepta. La domestique de Mengeot se tenait derrière. C’était une jeune fille sans instruction. Au moment au Chapas, debout, leva la main pour commencer le Pater, la jeune fille tomba par terre à la renverse. Chapas demanda de ne pas s’en occuper. Il fit lentement et gravement la prière et, après un moment de silence, il se retira. Sur ces entrefaites, la domestique revint à elle et raconta qu’en voyant « le Monsieur » lever la main elle s’était aperçu qu’il était vêtu d’une longue robe blanche.
Ceux qui ont connu les expériences de Philippe à Lyon, verront que le voile avait été levé pour cette personne, et qu’elle avait contemplé la réalité. Ses sens n’avaient pu soutenir cette lumière, d’où la faiblesse proche de l’évanouissement qui s’était emparée d’elle.
Nous avons fréquenté Jean Chapas plus intimement quelques années plus tard, à l’occasion de notre mariage en 1928, avec une de ses nièces. Nous fîmes alors une grave maladie et c’est à la prière fervente de l’Ami de Dieu que nous dûmes de recouvrer la santé, condamnée par la Faculté. Dès lors, Jean Chapas voulu bien nous adopter comme ses enfants, ma femme et moi, et pendant les dernières années de sa vie, nous fîmes chez lui de longs séjours au cours desquels notre ménage s’agrandit de deux fillettes.
Jean Chapas recevait toujours beaucoup d’amis auprès de lui. Il avait le goût de ces belles réunions et sa femme le secondait heureusement d’un cœur vif et sincère. Elle racontait aisément de nombreux souvenirs sur le Maître qu’elle avait fréquenté assidûment pendant vingt ans.
La femme de Philippe vivait sous le même toit. Elle avait ses appartements privés où elle passait chaque été jusqu’à son décès en 1939. C’était une dame d’une grande distinction, qui inspirait à tous le respect.
Les dernières années de sa vie, Jean Chapas manifesta de plus en plus d’inquiétude au sujet de la France. Il nous en paraissait comme obsédé : plus tard nous comprîmes dans l’épreuve de la seconde guerre mondiale, la peine qu’il dût subir. Il fit un jour un voyage en Normandie et lorsqu’il en revint, ce fut pour nous dire son désarroi presque physique comme s’il avait subi la mort. Comment comprendre de telles choses ? Il nous fallut vivre le débarquement des troupes alliées en juin 1944, pour réaliser l’épreuve nécessaire dont il lui avait été interdit de parler.
Nous reproduisons ci-après différentes notes, relevées par notre père après des conversations avec Jean Chapas :
Dans le monde nouveau on se souviendra des existences antérieures, la douleur de la mort des proches sera atténuée, ce sera comme un départ pour un voyage.
La Vierge est le marchepied du ciel : Elle prie continuellement pour les hommes.
Plus tard, les hommes feront tomber la pluie où ils voudront, alors viendra la fin du monde, car sinon ils désorganiseraient tout.
Nous devrons épeler l’alphabet de A à Z. Nous sommes à la lettre C : nous apprendrons plus tard à faire des mots et des phrases.
Les éclipses sont toujours suivies à quelque temps de la naissance de nouvelles planètes. Les astres sont mâles ou femelles et la voie lactée est le système génital de notre région sidérale.
Le nombre des âmes qui naissent est compté.
Dans les familles nombreuses, il vient toujours un être qui relève la famille.
M. Philippe marche devant chaque nouvelle époque et ses amis le suivent toujours sans rester en arrière.
On peut activer le travail de la vigne en prenant l’électricité de l’air ; mais cela ne peut se faire, car on désorganise la nature à son propre profit. Lorsque les hommes feront cela, il se produira de grands orages et des changements.
Maintenant le Ciel ne permet plus que l’on fasse du mal à autrui par la magie. Ce qu’on veut faire revient immédiatement sur vous.
Le matin, il faut demander à Dieu d’ouvrir notre cerveau, nos yeux et nos oreilles.
Dans le soleil, la chaleur est d’environ 70 degrés. Les habitants s’éclairent en ramassant des morceaux de radium. Il viendra plus tard sur terre une race d’hommes ailés et couverts de poils.
Nous ne devons juger personne. Dans son sommeil sur une autre planète, l’âme d’un grand être a vu la terre. Elle a été conduite par son ange. Elle a dit : « C’est un paradis. » Elle a demandé au Ciel de pouvoir y aller. Comme elle est d’une planète fort inférieure à la nôtre, dès que le petit enfant a été capable, il a assassiné. En le condamnant, nous chargeons l’être peut-être le plus avancé de sa race.
En creusant dans le désert, on doit certainement y trouver déjà de l’eau.
Monsieur Philippe est allé en Russie pour adoucir les épreuves et préparer les choses au mieux.
Si les prêtres n’étaient pas avides d’argent, leurs processions seraient suivies par la population entière. Les petits enfants dont parle l’Évangile, ce sont les ouvriers.
Lorsque Dieu a mis l’homme sur terre, Il ne lui a pas fait de discours, Il lui a dit : « Va, le progrès est à l’infini. »
Lorsque l’Ami de Dieu s’en alla de l’autre côté, le 2 septembre 1932, il laissait un compagnon que Philippe lui avait donné : c’était Gautier qui continua de recevoir les amis, de 1932 à 1947, année de son décès. Nous ne pouvons rien dire au sujet de ce compagnon : nous l’avons trop peu connu et l’habitude de n’écrire que ce que nous savons personnellement nous empêche de parler de lui. Ce sera vraisemblablement la tâche d’un autre ami qui l’aura connu plus intimement que nous.
Le décès de Jean Chapas fut signalé dans le bulletin des « Amitiés Spirituelles », d’octobre-décembre 1932. Mais à part cette notice nécrologique, Jean Chapas s’en est allé dans le silence qu’il avait toujours souhaité. Et cependant, il nous laissait un grand espoir, un espoir incompréhensible au moment où il nous fut formulé : il avait dit un jour à sa fille, qui nous le répéta : « En 1942, tout ira mieux ». Ce fut dix ans plus tard que nous comprîmes la portée de cette promesse de l’Ami de Dieu, qui visait le sauvetage de la France.
C’est alors que nous sentîmes seulement toute la grâce qui nous avait été donnée de rencontrer Jean Chapas et de le fréquenter pendant son séjour sur cette terre.
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