par Loranger
En lisant les livres écrits sur les séances de Monsieur Philippe rue de la tête d’or, j’ai été frappé par les « paiements » d’une nature toute particulière qu’il demandait aux personnes soignées : « Vous serez tous un peu soulagés, mais il faut me promettre d’être sages. Savez-vous ce qu’il faut faire pour cela ? Simplement ne pas dire du mal de son prochain. Ah ! Si ! Je vous permets d’en dire, mais seulement en sa présence ».
Ami de Dieu et de la Charité, le thaumaturge ne pouvait qu’exhorter les hommes et les femmes à aimer leurs semblables. Bien sûr, comment y parvenir si, à peine le dos tourné, nous en profitons pour juger et dire du mal des personnes que nous côtoyons. Charité bien ordonnée commence par… l’absence de médisance. « La médisance est l’ennemi le plus mortel de la charité » (Louis Bourdaloue).
La médisance court comme la rumeur qui est un peu sa sœur jumelle. Elle se propage facilement, rencontrant bien des personnes complaisantes... Avec la vitesse de propagation de l’information, il faut d’ailleurs rester sur ses gardes par rapport à ce qui circule sur internet.
Si je fais mon examen de conscience, je dois bien avouer y participer peu ou prou (encore aujourd’hui !). Combien de fois me suis-je dit : « je l’avais mal jugé par ignorance », ou « pourquoi ne l’as-tu pas défendu ? » ou bien « désormais gardes-toi bien de dire du mal de quelqu’un en son absence ». Mais la plus grande vigilance s’impose au quotidien car le simple fait de prendre cette résolution ne nous met pas à l’abri. Mais alors, qu’est-ce qui peut bien nous pousser à le faire ?
Médire, c’est dire du mal que l’on croit savoir sur quelqu’un en se maintenant soi-disant dans la stricte vérité.
Citons les trois passoires de Socrate : Socrate avait, dans la Grèce antique, une haute opinion de la sagesse. Quelqu’un vint un jour trouver le grand philosophe et lui dit :
– Sais-tu ce que je viens d’apprendre sur ton ami ?
– Un instant, répondit Socrate. Avant que tu me racontes, j’aimerais te faire passer un test, celui des 3 passoires.
– Les 3 passoires ?
– Mais oui. Avant de me raconter toutes sortes de choses sur les autres, il est bon de prendre le temps de filtrer ce que l’on aimerait dire. C’est ce que j’appelle le test des 3 passoires. La première passoire est celle de la vérité. As-tu vérifié si ce que tu veux me dire est vrai ?
– Non. J’en ai simplement entendu parler...
– Très bien. Tu ne sais donc pas si c’est la vérité. Essayons de filtrer autrement en utilisant une deuxième passoire, celle de la bonté. Ce que tu veux m’apprendre sur mon ami, est-ce quelque chose de bon ?
– Ah non ! Au contraire.
– Donc, continua Socrate, tu veux me raconter de mauvaises choses sur lui et tu n’es même pas certain qu’elles soient vraies. Tu peux peut-être encore passer le test, car il reste une passoire, celle de l’utilité. Est-il utile que tu m’apprennes ce que mon ami aurait fait ?
– Non. Pas vraiment.
– Alors, conclut Socrate, si ce que tu as à me raconter n’est ni vrai, ni bien, ni utile, pourquoi vouloir me le dire ? »
Nous voyons bien que la médisance est dangereuse car elle peut conduire à la calomnie par des propos répétés, transformés et invérifiables. La calomnie, c’est inventer une chose et la faire passer pour vrai. De ce mensonge, il restera toujours quelque chose et l’on entendra dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu !
Qu’est-ce qui pousse l’homme à médire sur son prochain ? Les causes sont multiples : orgueil, laisser-aller, colère, moquerie, jugement, ennui, besoin de dire quelque chose, meubler une conversation…
Faut-il se taire quand nous sommes témoins (et donc acteurs passifs) de la médisance ? Le silence est-il toujours d’or ? Écouter des ragots sans mot dire (« maudire ») pourrait être comparable à la non-assistance à personne en danger. « Qui écoute médire est lui-même du nombre des médisants »
Certes, s’il n’y avait personne pour écouter, il n’y aurait plus de cancan, de ragots ou de commérage. Bienheureux celui par qui la médisance s’arrête. Il faudrait juste un peu de courage et parfois, cesser de se ranger du côté de la majorité…
En m’interrogeant sur ces mobiles, j’ai remarqué que le commérage est souvent source de conversation et de lien social (…) entre des personnes qui souhaitent échanger ou tout simplement dire quelque chose. La nature a horreur du vide et il faut beaucoup de vigilance pour se tenir à l’écart de cette dérive. « Les médisants ressemblent aux malheureux qui n’ont pas eu leur part d’événements et doivent mener aux dépens de leurs voisins une existence parasitaire. » (Joë Bousquet).
Nous ressentons tous le besoin de nous confier à un proche pour évoquer des injustices vécues ou des déceptions amicales, voire sentimentales. La tentation est alors grande d’accuser l’autre, car nous nous sentons en état de légitime défense. Le confident a souvent dans ce cas de figure une oreille « complaisante » car il aura à cœur de nous réconforter…
Sous couvert d’humour, combien de fois a-t-on ri sur quelqu’un ? Il est tellement plus facile de se moquer sans vergogne lorsqu’une personne est absente… Mais le ferait-on en sa présence ? « Comme nous ne sommes pas courageux, nous ne le ferons pas. » (M. Philippe)
Nous ne pouvons nous empêcher de penser… et de juger bien ou mal telle ou telle action, telle ou telle personne. En fait, nous pouvons difficilement nous abstenir de juger, mais le jugement de son prochain est parfois à la source de la médisance. Et c’est souvent par incompréhension, méconnaissance ou ignorance que nous portons un jugement. « Quand on se connait, on n’a plus envie de juger les autres. » (M. Philippe)
Les Évangiles sont sans détour sur ce sujet : « Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » (Matthieu 7, 3) « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche de l’homme qui souille l’homme mais ce qui en sort. » (Luc 6, 41)
Pour arrêter de faire « des trous dans la nappe », il faudrait contrôler soigneusement nos pensées, nos paroles et nos actes du quotidien. Vivre dans un état d’être bienveillant, et prier avant d’agir. « Commencez par ne plus du tout parler de quelqu’un qui est absent. » (M. Philippe)
Ne sous-estimons par le pouvoir de la parole :
« On pense que c’est peu de chose… alors que cela peut faire beaucoup de mal. » (M. Philippe)
« Rien n’est limité dans la nature ; tous les mondes se pénètrent et tous les êtres sont solidaires : chacune de nos paroles va beaucoup plus loin que les murs de la chambre où nous les prononçons et qui semblent cependant les arrêter ; chacune de nos pensées, même secrète, peut être la cause de bien des faits qui nous resteront toujours inconnus. » (Marc Haven)
Tout se tient… Ne pas médire pour prendre résolument la Voie Cardiaque, mais aussi pour être « entendus » !
« Si vous faites des efforts pour ne pas dire du mal de votre frère, le Ciel ne vous refusera rien. » (M. Philippe)
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