par Chappuis
Assassiné le 31 juillet 1914, cet apôtre du socialisme, à la puissante stature d’un gars du sud-ouest, agrégé de philosophie, fervent défenseur de l’esprit laïque nous dévoile une « arrière-pensée sans laquelle la vie de l’esprit [lui] semblerait à peine tolérable à la race humaine » (signé Jaurès). On garde de lui l’image d’un tribun, toujours en lutte contre l’abus de pouvoir des hommes politiques.
Mais il existe un Jaurès caché ou plutôt, comme il le dit lui-même, « à certaines heures, des paroles sont dites qui ne sont pas entendues ». C’est ainsi qu’à 23 ans il pose et se pose les questions fondamentales auxquelles il essaiera de donner des réponses : « Qu’est-ce que l’esprit ? Qu’est-ce que la matière ? D’où vient tout cela ? Où va tout cela ? »
Tout au long de sa vie d’homme il n’arrêtera pas de mettre en avant des pensées dont la teneur le fera passer pour un socialiste malfaiteur et il faut rendre hommage à Henri Guillemin (1), cet historien trouble-fête, d’avoir mis en avant cet aspect du personnage.
En 1910, à la chambre des députés, le voilà face au demi-cercle de politiciens : « J’ai, il y a 20 ans, écrit sur la nature et Dieu, sur leurs rapports et sur le sens religieux du monde et de la vie, un livre (2) dont je ne désavoue pas une ligne et qui est resté la substance de ma pensée. »
Depuis l’adolescence il est affranchi de toute religion et de tout dogme ; « en faisant l’univers, Dieu s’est livré à lui ». Rien que ces quelques mots nous laissent entrevoir la profondeur cachée de cet homme. Pour lui Dieu vit « dans la profondeur des choses », le monde est sacré, il n’y a rien de profane, c’est-à-dire, que tout ce monde sensible qui nous entoure baigne dans cet éther-là. « Tous les faits sont en même temps naturels et divins ». Quant à l’idée religieuse, pour lui, elle n’a rien à voir avec les formes religieuses, et c’est un objectif que de la réveiller dans la démocratie sociale. En 1904, toujours à la Chambre des députés, il expose et développe la pensée chrétienne, montrant comment le christianisme a suscité dans le monde de nouvelles « forces de vie ». Qui aujourd’hui oserait pareils propos en pareil lieu ?
Il faudra attendre vingt ans pour retrouver chez un non-référencé mystique, Jung, ces propos sur l’homme : « Nous ne pouvons connaître Dieu sans le moi, mais il nous est impossible de comprendre notre moi sans Dieu » ; « Pour moi […], je crois d’un foi profonde que la vie humaine a un sens, que l’univers est un tout, que toutes ses forces, tous ses éléments conspirent à une œuvre et que la vie de l’homme ne peut être isolée de l’infini où elle se meut et où elle tend. »
L’action politique – devenue noble – se complète par le devoir de restituer à l’humanité « le sens de la vie et de Dieu » et « rendre Dieu présent à toutes les âmes réconciliées ».
Il ne suffit pas de se parer du titre de mystique pour semer de beaux petits cailloux sur son chemin, que peut-être, un jour, d’autres trouveront et qui les conduiront à la Source. Jaurès s’inscrit dans la lignée de ces hommes publics qui un jour ont entendu cet être qui palpite en eux ; il l’a écouté et il a essayé dans le cours de son existence de le mettre en avant au risque de perdre la considération de ses coreligionnaires mêmes.
(1) Henri Guillemin, L’arrière-pensée de Jaurès, Utovie, 2000.
(2) Il s’agit de sa thèse intitulée, La réalité du monde sensible.
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