par Chappuis
Chaque jour nous nous trouvons dans cette double nécessité : donner – recevoir. En y accordant des échelons de valeur différents, nos tempéraments nous propulsent à attribuer à l’une de ces alternatives prépondérance en accord avec ce que nous nommons nos convictions, morales, religieuses, etc. Mais il faut bien reconnaître que les mécanismes psychiques, les mobiles, à la base de ces actions nous échappent bien souvent ; ou parce que nous leur accordons peu d’importance, voire pas du tout, ou parce que nous ne voulons pas voir.
Donner
Donner son argent, donner son temps, donner un peu de soi, beaucoup de soi, passionnément de soi, donner de soi jusqu’à l’oubli de soi (c’est de la folie !), donner sa vie à ceux qui donnent la mort, donner des conseils, donner l’exemple, donner son amour… et pour en fait donner l’impression.
Celui qui donne est dit généreux : alors on l’encense et il est satisfait, ou il s’encense et il s’auto-satisfait. Quand et comment échapper à cette spirale ?
« Une voie qui peut être tracée n’est pas la Voie » dit le Tao.
À nos actes s’attachent les mobiles qui ont présidé à leur naissance. Ceux-là donc ne sont pas dans la Voie. Ils ont leurs rétributions.
« Il en est qui donne avec joie, et cette joie est leur récompense.
Il en est qui donne avec douleur, et cette douleur est leur baptême.
Il en est qui donne et ne ressente ni douleur ni joie et ne sont pas conscients de leur vertu ;
Ils donnent comme dans la vallée là-bas le myrte exhale son parfum dans l’espace.
Par les mains de tels êtres, Dieu parle, et à travers leur regard Il sourit à la Terre ».
(Gibran)
Peut-on faire en sorte que notre acte de donner soit exempt d’intention de satisfaction personnelle ? À écouter Khalil Gibran cela est possible. Alors à ce moment-là nous devenons le canal par lequel s’écoule la volonté du Père.
« Car en vérité, c’est la Vie qui donne à la vie, alors que nous, qui nous imaginons être donneurs, ne sommes en réalité que témoins ».
À certains moments de nos existences nous nous précipitons dans le don par une impérieuse nécessité, au mobile caché plus proche qu’il n’y paraît de nos infirmités, nous vidant par le même coup de quelques sentiments de culpabilité. Nous sommes en fait avides de recevoir. Simple problème de vases communicants. Nous ne faisons que vider notre grenier des objets qui l’embarrassent, avec en prime ses toiles d’araignées !
Donner est un acte descendant : en haut celui qui donne, en bas celui qui reçoit. Notre regard porté sur l’autre l’en fait notre débiteur et alors nous savons que donner amène vite à asservir le donataire. Dans nos relations avec le prochain, nous voulons, par une attitude conforme au bon sens et à l’étiquette, bien faire (donner une bonne image d’Épinal de soi) en nous empressant de donner des conseils, de donner l’exemple. Bien sûr nous répondons aux demandes et en même temps il est vital de savoir que notre conseil est le fruit de notre expérience qui ne peut être l’expérience de l’autre.
Combien de fois n’avons-nous pas entendu dans notre enfance cet engagement auquel notre éducation nous contraignait : donner l’exemple. Et que cette expression est lourde de conséquences ! Ainsi nous risquons de sculpter des masques, les affichant à tour de rôle en fonction des situations. Tout cela est figé ; le naturel en est chassé au galop. Donner l’exemple nous prive de simplicité, de cette simplicité qui nous fait paraître tel que nous sommes. Déjà que sans le vouloir nous nous apercevons que nous nous donnons en exemple ou que nous donnons des exemples et les enfants sont très réceptifs à ce que transmet l’adulte. Donner l’exemple devient alors imposer son exemple en principe de vie.
Recevoir.
La tâche est plus ardue qu’il n’y paraît. S’il est facile de recevoir ce que l’autre nous donne – temps, bien, service,… – ; là où cela devient plus difficile, c’est lorsqu’il nous donne de lui-même. Recevoir un objet est un acte simple. Recevoir de l’autre tout ce qui est manifestation de sentiments devient tâche beaucoup plus difficile. Recevoir devient écouter, accueillir. Et là notre bienveillance, notre attention est nécessaire. Recevoir n’est pas renvoyer une balle comme au tennis par un jeu de miroir ; ce serait un peu comme prendre, s’assimiler, aller vers la « compassion », faire un bout de chemin avec l’autre. Derrière ses mots, les siens, se cachent ses douleurs qui sont même pour lui à la frange de sa conscience. C’est un accusé réception que nous lui devons, gardant pour nous la vision de cette blessure. Il conviendra alors plus de parler à Dieu de cet homme ou de cette femme et de ses blessures que de parler de Dieu. Se faire douceur. Car ce que nous donne l’autre est précieux à ses yeux : il y tient. C’est un geste affectueux, expression d’une rencontre de deux cœurs et nous dans nos rigidités nous ne savons pas forcément l’accueillir. Recevoir, simplement être là, simplement être le témoin entre Dieu et notre interlocuteur : sans jugement, sans a priori.
Est-il plus facile de donner que de recevoir ?
Donner ce que nous avons reçu du Ciel exige de nous la vigilance, – oh ! non sur l’autre mais sur nous –, afin que nous ne soyons pas trop conscient de ce que nous donnons.
Le Ciel nous demande d’être attentif à ce qui se présente à nous, dans les pensées, les événements, les personnes ; savoir que cela m’est personnellement destiné ; à moi d’en percevoir le sens avec Son Aide.
Oui, nous donnerons alors, nous ferons passer, ce que nous avons reçu, acte de la vie quotidienne, dont nous ne pouvons tirer ni glorification personnelle, ni avantage spirituel.
Simplement, donner c’est être dans la Vie par une meilleure réception de l’autre. Ce n’est pas une finalité : c’est un fait réel qui grandit en nous avec les forces que le Ciel nous envoie.
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