par Cornélius
En 1901 paraît un petit opuscule titré : Les lettres magiques ; il s'agit d'une correspondance amoureuse exaltée entre un jeune aventurier nommé Andréas, parti chercher la lointaine sagesse d'Orient, et son épouse la pure Stella, restée à l'attendre, bien que continuant sa vie commune au creuset d'un labeur quotidien. Les lettres évoquent à la fois des initiations chthoniennes baignées par des parfums oubliés et la saveur brûlante des baisers du cantique des cantiques. Sédir insatisfait de cet essai artistique remarquable mais incomplet, s'affaire à le parfaire : il choisit la forme littéraire du roman initiatique, dans laquelle il réhabilite la géniale armature mystique quaternaire rosicrucienne composée de personnages qui, comme dans Zanoni ou Axel, semblent avoir réellement existé. C'est la première mouture d'Initiations née presque miraculeusement en 1908, qui, comme le dit Max Camis fût « écrite presque d'un seul jet en un jardinet de Bourg-la-Reine, à l'orée de l'illumination de notre auteur » . La plaquette ardente s'intitule : Trois contes pour « les petits enfants » : la rencontre, la tentation, l'adepte.
Ces deux premières esquisses sublimes ne suffisent pas, le sujet qui mûrit avec les années est trop grave, trop colossal : il s'agit de l'œuvre d'une vie dédiée au Christ et à sa doctrine authentique, « mais il lui fallait un développement, une transposition sur les différents plans de l'évolution » (1) et l'adapter au mouvement perpétuel de la vie. Sédir fusionne donc ces deux écrits, les transforme, les améliore dans un souci constant d'exactitude, leur supprime quelques légèretés et rajoute quelques chapitres tirés d'articles parus dans la revue le Voile d'Isis. Il les développe enfin pour offrir le grand ouvrage que nous connaissons à ses Amis qui en 1917 luttent de toutes leurs forces dans les tranchées du conflit le plus effroyable de l'histoire de l'humanité (2).
Émile Besson, son jovial secrétaire et plus proche collaborateur, évoque ainsi dans sa biographie parue en 1971, l'éloge faite par l'allemand Willy Schrödter qui qualifie avec une grande justesse INITATIONS comme « la pierre précieuse la plus brillante du diadème que sont ses ouvrages » (3). Le fidèle pasteur aux yeux clairs proclame l'impossible en certifiant par écrit à plusieurs reprises qu'« il n'est pas un détail de ce récit qui ne soit matériellement vrai » (4). Paroles lourdes de sens et de conséquences.
L'homme de désir choisit de voiler ingénieusement cette œuvre centrale, colonne vertébrale de tout l'édifice écrit, par prudence d'abord, car l'ouvrage traite à la Lumière de l'Évangile des fondations des 7 grandes traditions religieuses, mais aussi explore les causes occultes des problèmes sociaux dont souffre notre monde malade. Le serviteur éclairé qui aura la chance d'entr'apercevoir quelques aspects de la géniale charpente qui se cache derrière et entre les chapitres découvrira peut-être d'autres raisons à ses réserves. Les personnages qui ont tous existé sont masqués pour préserver leur intimité et les lieux changés pour éviter quelque insurrection historique. Les quelques modifications nécessitées pour les arrangements littéraires et la structure du roman n'enlèvent rien au fait que le moindre détail rapporté est exact. Cependant le fondateur des Amitiés Spirituelles ne put même au bout de vingt années se satisfaire de ce volume constamment retravaillé, impuissant, comme le dit Max Camis « car l'impression constante qui lui était donnée butait devant un enseignement et la complexité du problème tout entier : faire comprendre la nécessité d'une constante présence du Christ revenant comme un voleur pour s'opposer et redresser les désordres que l'homme inconscient ajoute ».
À ses Amis, de vieux enfants au cœur ardent, qui ensemble compulsaient tous les domaines de l'humain, pour les remercier de leurs efforts vers les autres pour le Christ, il décide d'offrir, sur un plateau, cet héritage spirituel vivant, reçu directement de la voix de la plus belle des rencontres : celle du Maître spirituel en chair et en os. Les vivants sont ceux qui font œuvre de foi, et les Amis de Dieu, comme le disait Tauler, « tournent les pages du livre du ciel et de la terre et y lisent les œuvres merveilleuses de Dieu ». Voilà le programme d'une autre école, remontant à la vie inconnue du Christ, invisible aux yeux des savants et des sages car guidée par l'Esprit, celle-là même dont parle le conseiller d'Eckhartshausen dans La Nuée sur le sanctuaire, qui a pour fonction d'adapter pour une époque donnée la mise en application pratique de l'Évangile et d'instaurer le culte en Esprit et en Vérité.
Mais abordons de plus près ce puissant roman initiatique dont la profondeur renvoie à la rareté. En effet le chercheur de bonne volonté se retrouvera sans doute dans les traits du docteur, personnage principal, qui incarne ce type d'homme qui a consacré depuis son adolescence toute son énergie, voir tout sacrifié pour l'étude des sciences occultes et qui n'a pas encore trouvé le certitude et la paix. Le roman débute alors que le docteur vient de franchir la quarantaine, confiant dans son expérience : il est capable de se remettre en cause, il ne s'est pas perdu dans une tradition personnelle ; cultivé mais modeste, il sait reconnaître ses faiblesses : ces qualités morales, alliées à la persévérance sont le terreau de la vraie vie spirituelle. La lecture de cet ouvrage aux plurielles profondeurs exige donc une certaine maturité de l'âme, s'il est permis de s'exprimer ainsi ; en effet, le plus grand ennui est de le parcourir sans voir l'essentiel : la clef centrale « XP » du livre ouvrant physiquement la Maison du Père.
(1) Max Camis, in Sédir mystique, éd. Amitiés Spirituelles.
(2) Ndlr : la 1re édition parue chez Beaudelot fut suivie en 1917 de la 2ème composée de 36 chapitres avec titre « Initiations » et pour sous-titre « Histoire pour les Petits Enfants » ; une 3ème parut en 1924 avec 43 chapitres ; une en 1949 ; une en 1964 ; une en 1976 qui passa à 45 chapitres ; la dernière en 1995 parue aux éditions Amitiés Spirituelles.
(3) Paul Sédir — une biographie (en allemand) dans Der Spiegel, février 1939.
(4) Émile Besson, in Sédir mystique.
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