par Sédir
Chaque règne de créatures peut jouir, à un moment donné, d’une paix qui lui est propre. C’est un calme relatif, extérieur, un sommeil court. Chacun de nos principes se repose aussi par intervalles. Mais la paix que le Christ laisse et donne à Ses amis est une paix centrale, profonde, immuable et surhumaine. Elle règne sur les cœurs humbles ; elle est toute vie, harmonie, activité, certitude et sérénité ; c’est un roc de diamant ; les vagues qui le battent ne l’entament point ; et la tempête la plus furieuse ne fait qu’en accentuer le pur, l’inaltérable éclat.
L’inertie, l’apathie, l’indifférence et, d’autre part, la vanité, la suffisance, l’orgueil ne ressemblent en rien à la paix du Christ. Pas plus que la résignation chrétienne, elle n’est un sentiment passif ; elle est au contraire positive, active, rayonnante ; elle est une vertu, c’est-à-dire une force.
Le Ciel, c’est la clarté, l’expansion, l’envol. Ses habitants se disent toujours : oui, les uns aux autres. L’enfer, c’est l’obscurité, la constriction, l’angoisse et le refus. Au lieu donc de gémir sur nos erreurs dès que nous les avons reconnues, marchons vers la Vérité, qui est le Christ ; unissons-nous à Lui par la pensée, par l’amour et par l’ acte.
Le Christ, splendeur du Père qui nous chérit d’un amour inconcevable, qui ne désire que d’être accueilli par nous, ce n’est pas par la crainte ni par la tristesse que nous Le recevrons. C’est en ouvrant tout notre être à Sa force et à Sa consolation. Détendons nos angoisses, quelque graves qu’en puissent être les causes. Si nôtre Maître juge bon de nous donner le bonheur humain, rien ne Lui est plus facile. S’il juge meilleur pour nous de subir l’épreuve, à quoi bon se révolter, à quoi bon craindre ? Forçons-nous à la confiance, au calme, à la bonne grâce.
D’abord, point de hâte fébrile. Le travail qui m’occupe à cette heure, la volonté de Dieu est que je le termine d’abord. Ensuite, un autre travail viendra. Il ne faut pas s’impatienter, même contre soi ; il ne faut pas entretenir les scrupules, ni les appréhensions ; il ne faut pas être cupide, ni d’argent, ni d’honneurs, ni de livres, ni de science, ni de quoi que ce soit ; il ne faut pas vivre contraint, anxieux, pessimiste, méfiant, curieux, jaloux ; il ne faut pas se laisser aller à l’ennui.
Voilà le grand secret : vivre dans la volonté de Dieu. Nous la trouvons dans les mille besognes qu’à chaque heure nous apportent nos divers devoirs ; et avec elle viennent la force et la lumière utiles pour l’accomplir bien. Il s’agit d’accepter, d’aimer tout ce qui se présente et de laisser tomber tout désir qui se lève en nous. Ainsi la volonté de Dieu devient l’unique nécessaire. Et chacun de nos travaux, nous le ferons avec soin, avec patience, avec amour, avec joie. Nous n’aurons plus jamais cette mauvaise hâte d’en finir avec une corvée. Et tout nous deviendra aisé, comme les ébats d’un enfant au soleil du matin.
En offrant au Ciel de S’installer dans tous les replis de notre être, les choses difficiles paraîtront faciles, puisque la difficulté naît de notre impuissance et de notre orgueil. Quand le moi diminue, le Ciel S’agrandit en nous, et grandissent en même temps la sécurité, l’optimisme, le contentement. Il y a une euphorie spirituelle. De même que l’athlète juge de la bonne marche de ses gymnastiques à la sensation de vigueur surabondante qui palpite dans ses muscles harmonieux, le disciple jugera de sa santé mystique au sentiment de douceur et de force qui le transporte par-delà les ternes horizons des gens de l’extérieur.
Accoutumons-nous à regarder nos petites chances, plutôt que nos malchances, nos petites joies plutôt que nos déceptions. Notre nature nous porte à voir la vie par ses difficultés ; regardons-la par ses facilités et par ses beautés. Ainsi nous parviendrons à ce havre que les écrivains religieux nomment l’état d’indifférence. Mais, dans la langue contemporaine, ce mot comporte je ne sais quoi de sec et de glacé qui ne correspond pas à l’état d’âme du disciple. Il me paraît préférable de nommer la paix intérieure cette disposition psychologique qui nous fait nous intéresser allègrement à tout, sans nous lier à rien; qui ne nous fait jamais trouver quoi que ce soit contrariant ; qui, enfin, est le signe de la plus grande souplesse dans l’humain, le caractère, l’énergie, l’intelligence ou la sensibilité et, en même temps, de la plus grande stabilité dans le centre de notre cœur, indéfectiblement attaché au Christ.
Cette paix intérieure doit rayonner au dehors.
Qui que ce soit, quoi que ce soit qui se présente à notre vue, accueillons-le avec ouverture de cœur, avec bénévolence. Miséreux ou millionnaires, masures ou palais, paysages riants ou sauvages, soleil ou tempête, rien n’est d’une laideur totale, rien n’est d’une beauté parfaite. Toute chose, toute créature est un reflet plus ou moins déformé d’une splendeur éternelle. Il se peut que nous n’apercevions pas cette ligne de clarté ; sachons cependant qu’elle existe. Soyons aveugles aux laideurs, aux impolitesses, sourds aux médisances, insensibles aux grossièretés. Donnons à toute créature ce que nous pouvons lui offrir : notre temps, nos goûts, notre argent, nos affabilités, notre science, notre expérience. Aimons les êtres comme Jésus les a aimés.
Ainsi nous vivrons en paix avec le monde.
Tout est un bienfait de Dieu ; tout sera donc au disciple un motif de joie. Dès le commencement du monde et jusqu’à sa fin, Dieu me distingue, me regarde, me surveille, m’aime d’un amour sans mesure; pourquoi donc ne serais-je pas pas heureux et bienheureux ?
Je réagirai donc contre ces très vieilles habitudes de mécontentement, de plainte, de ruse paresseuse, en me forçant à tout accueillir d’un visage ouvert et souriant. En effet, tout est en réalité un bienfait du Père; tout est une occasion de montrer ma confiance en Lui; tout est un motif pour L’aimer, pour mieux Le servir ; tout peut rendre service au prochain ; tout est, si nous le voulons, un pas de plus vers le Ciel.
Sédir, Le Couronnement de l'œuvre, Amitiés Spirituelles, 1991, pp. 122-125
Sédir écrit : Il s’agit d’accepter, d’aimer tout ce qui se présente et de laisser tomber tout désir qui se lève en nous. Que veut-il dire ici ? Cela m'étonne, car Sédir n'est-il pas l'anagramme de désir ? Le désir n'est-il pas le levain sur lequel nous faisons naître certains de nos plus beaux actes ? Ne trouvons nous pas d'ailleurs quelquefois chez cet auteur l'expression : désir de Dieu ? Alors peut-être faut-il faire un distingo entre la nature d'un désir orienté vers la vie et celui qui, entaché par une complexion généalogique, nous pousse vers le cercle étroit et sans cesse répété du destin. C'est pour moi, une tentative d'explication que je vous propose.
Laflèche.
Rédigé par : Laflèche | 13 janvier 2010 à 19:13