par Marcel Renébon
Parler de M. Philippe alors que Sédir ne l’a fait qu’en voilant cette immense figure, que « le caporal », Jean Chapas, est resté muet, que Papus lui-même a modéré, à son propos, sa naturelle éloquence, peut paraître orgueilleux, sot, et de toutes façons, indiscret. Bien du temps a passé depuis que M. Philippe a quitté cette planète ; il n’y a plus guère à craindre de remous et de contestations autour de ce nom, qui doit rester d’union. Et puis, plusieurs livres lui ont été consacrés, aucun n’expliquant, mais tous rappelant des traits de sa vie et rapportant des notes prises au cours des séances de guérisons de Lyon. Puisque d’autres ont pris la responsabilité de parler, peut-être certains de nos lecteurs trouveront-ils un petit profit à ce qui suit. Ceux qui connaissent « le sujet » seront déçus ; ils me pardonneront en pensant que ces lignes jetteront peut-être quelques lueurs utiles pour ceux qui veulent tenter de comprendre ce qui parait de prime abord peu clair.
Il faut pourtant rappeler ici que le mysticisme de Sédir a été plus que largement inspiré par M. Philippe. Toute l’œuvre [du] fondateur [des Amitiés Spirituelles], toute sa flamme ont flambé à partir d’une « certaine rencontre » qui était celle du Maître de Lyon. Sédir demeure donc bien un des plus sûrs porte-parole d’une pensée et d’une vie délibérées ailleurs que sur cette terre.
Les travaux de M. Philippe sur la terre furent nombreux, pour la plupart ignorés et, pour ceux que nous connaissons, peu susceptibles d’un classement méthodique. Tout au plus peut-on tenter de les diviser, par l’arbitraire, en travaux pour les nations et en travaux pour les hommes. Le souvenir de ces derniers s’exprime dans les anecdotes rapportées dans le livre de M. Alfred Haehl qui vécut plusieurs années dans une intimité quotidienne avec M. Philippe. Même si certains de ces faits ont été transmis de façon approximative, ils constituent une source de méditations. C’est « l’Évangile en complet veston ». Voici quelques exemples.
Quand M. Philippe aligne debout, à la queue leu leu, plusieurs personnes devant lesquelles il place un homme à figure de bandit venu à une des séances, quand il passe une corde par-dessus les épaules de ces gens, quand il la noue sur le dernier et que c’est le premier, le « bandit », qui violace et tire la langue, comme s’il était pendu, ce n’est pas un tour de passe-passe. L’homme est réellement pendu quelques secondes, payant ainsi un forfait passé. Mais la collaboration des autres, de toute la file, lui évite une véritable pendaison. Ces autres prennent leur part de l’inéluctable. Quelle scène traduirait mieux le mécanisme de la « communion des hommes » ? Nous ne sommes pas seulement responsables individuellement, nous le sommes collectivement. Nous sommes solidaires, devant le Ciel, du « dernier des derniers ».
On s’étonne qu’une femme malade vienne rue Tête-d’Or et reparte toujours sans aucune amélioration. Quelqu’un en parle à M. Philippe qui répond : « Je ne peux rien pour elle. Elle n’a jamais fait la moindre chose pour quelqu’un ». Mais, un instant plus tard, il dit au même : « On va pouvoir s’occupe d’elle. Elle vient de soulager une pauvre femme lasse en lui portant son sac ». L’interlocuteur avait été intercesseur. Après son intervention, M. Philippe avait pu également suggérer à la peu charitable dame d’accomplir un acte certes mince, mais en sens inverse de sa nature. La loi est la loi et elle ne peut pas, réellement, être transgressée par le Ciel, sauf si quelqu’un commence en bas et dans le bon sens. Voilà qui donne à nos misérables charités une importance qu’elles ne paraissent pas avoir dans les faits.
M. Philippe, prenant dans ses mains la tête d’un mourant et lui disant : « Tu vois, là-bas où tu vas, si c’est beau »... Le visage de l’agonisant s’illumine, et M. Philippe reprend : « Eh bien, promets-moi que, de là-bas, tu te souviendras des tiens qui pleurent ». C’est la permission donnée à tous ceux que nous appelons « les morts » de nous aider parfois, dans les premiers temps de leur passage derrière... un simple rideau. M. Philippe créait en disant ; il était le maître.
Mais le pouvoir créateur de ses paroles est toujours discret et, disons-le, camouflé. C’est la condition de notre liberté, l’excuse de notre ignorance, plus ou moins volontaire. Quand M. Philippe dit à une dame qui s’étonne de le voir manger de la viande : « C’est pour que tu puisses en manger », il montre le bout de l’oreille. Premier des Serviteurs, il justifie ici l’état de carnivore, qui n’est pas l’état naturel de l’homme. Quand il s’intéresse aux sapeurs-pompiers, cela veut dire qu’il promulgue la noblesse d’un corps social humble, mais qui servira beaucoup par la suite. Et, quand il accepte, dans des conditions anormales, un diplôme de médecin russe, croyez bien que c’est la médecine russe qui est honorée (et non lui) et remise en même temps sur de nouveaux rails.
On pourrait multiplier exemples, et anecdotes. Mais l’approche de M. Philippe étant une initiation personnelle, il est indécent d’en dire plus. Le livre de M. Haehl – qui n’est pas un livre, mais un recueil – a le mérite de nous faire approcher cette grande figure. S’il faut tenter un « mot de la fin »... Qui était-il ? Lui seul pouvait répondre et il l’a fait : « le plus petit de tous ». Derrière cette humilité totale on aperçoit l’immensité.
Bulletin des Amitiés Spirituelles, octobre 1970
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