par Chappuis
« La spiritualité définit une aspiration personnelle ou collective, ou l'ensemble des croyances, pratiques et études qui ont trait à la nature essentielle de l'être vivant, à l'âme, à ce qui est en deçà ou au-delà des besoins matériels ou des ambitions terrestres, voire à la relation à Dieu dans le cas d'une spiritualité non athée. » « Spirituel : Qui est esprit, de l’ordre de l’esprit considéré comme un principe indépendant. » Ainsi s’expriment Wikipédia et notre cher Robert. Il est utile, même si on a toute liberté relative d’exprimer ce qu’évoque pour nous un mot, de ne pas perdre de vue le sens tiré de l’étymologie. En fait à lire la glose glanée sur internet ainsi que d’autres écrits cet état correspond à une aspiration humaine.
Qui dit aspiration peut laisser entendre que l’état vécu ne donne pas toute satisfaction ; il y a un ailleurs physique ou psychique que l’être recherche, qui lui semblerait plus en harmonie avec ce qu’il est. Ainsi l’humain se sent « aspiré » par un état d’être et là deux voies s’offrent à lui : la dépendance ou l’indépendance. Ou il accède à une spiritualité collective, ou , en paraphrasant Paracelse, « il se garde d’appartenir à autrui », lui qui n’a de cesse de rassembler ses morceaux épars.
La plupart du temps la spiritualité n’est que l’expression de ce qu’il est de bon ton d’exprimer à une époque donnée. Il est là aussi question de mode, d’ambiance. Elle a aussi ses superettes. Cette agitation neuronale s’épuise dans le temps, ce dernier rendant difficile la cohabitation du réel et de l’irréel. La nature reprenant ses droits, on retourne à nos chères occupations terrestres, ou tout au moins à nos contraintes, à nos devoirs, à tout ce qui pèse sur nos frêles épaules. La spiritualité est rangée au titre des activités dominicales et intellectuelles, considérée comme un sas de survie, un jardin d’agrément dans lequel on cultive de belles plantes pas forcément acclimatables à tous nos climats. Forcée, donc engraissée, nourrie abondamment de produits divers exogènes, c’est ainsi qu’elle peut survivre, poussant alors le disciple vers un maître à qui on délègue nos propres pouvoirs, moyennant rétribution, sans en calculer le prix.
La spiritualité est très souvent vécue comme un état à part, ce que nous retrouvons dans la première définition, puisqu’il s’agit de quelque chose qui est « en deçà ou au delà des besoins matériels ». La quête de la spiritualité, quelqu’en soit l’origine manifestée dans une existence, nous amène inéluctablement à cette distanciation. Il y a un peu comme une séparation du pur et de l’impur qui conduit parfois à des dérives absolutistes.
En fait nous ne sortons pas (ou nous avons peur d’en sortir) de cette continuelle opposition que nous projetons partout comme pour mieux nous y reconnaître. Nommer c’est ranger, et c’est ainsi que nous débutons dans l’existence. Personne n’y échappe, même si certaines démarches apparaissent désordonnées ! Car l’absence de rangement comme l’excès de rangement conduisent à des maladies psychiques.
Extérieur et intérieur, blanc et noir, spirituel et matériel... je vous laisse continuer cette liste de jumeaux. L’un reflétant l’autre. Oui, car quelque soit le domaine évoqué, tout ce dont je suis sûr, c’est que c’est moi-même avec mes propres outils, mes uniques outils, qui l’appréhende. Ma vision du bâbord et du tribord se fait avec les mêmes yeux, ma vision du spirituel et du matériel s’opère aussi avec les mêmes schémas psychiques. Il ne peut pas en être autrement et nous devons y être vigilant.
Nous qui nous targuons de « connaître » le Maître de Lyon, essayons d’imaginer (car nous n’avons ni les moyens, ni la prétention de faire autrement) comment il voit les êtres. Dans leur totalité, mot, à mon avis, plus fort qu’unité. Là, où nous voyons de l’ombre, il voit une absence de lumière, donc une souffrance. Il n’y a pas place alors au jugement.
Cet état particulier qu’il nous dévoile doit nous rendre attentifs sur l’expression même de nos paroles, c’est-à-dire être conscients de tout l’imbroglio humain que véhiculent les mots à notre disposition.
La séparation évoquée plus haut a amené l’homme à cacher, mais aujourd’hui et ce depuis 2 000 ans, « la Lumière vint dans le monde » et tout ce qui est caché doit recevoir cette Lumière. Il nous est bien difficile de nous séparer de nos béquilles anciennes !
Je voudrai relever aussi cette constante opposition (dans les termes au moins), que nous trouvons par exemple dans le sujet évoqué le mois précédent par Cornélius, – l’Église intérieure et l’Église extérieure – sans nous rendre compte que nous n’appréhendons cette aspiration (la première) qu’avec les mots qu’on possède, c’est-à-dire ceux qui nous servent à désigner l’externe (la deuxième). Partant de là, nous ne faisons que parler de la même chose. Le terme même avec lequel nous tentons de rassembler des êtres dans un intérieur (église) porte en lui ses miasmes historiques. Impossible de s’en défaire. Nous projetons dans cette « intérieure » la hiérarchie tirée de l’« extérieure », parce que sinon nous sommes perdus. Elle est loin pour moi l’attitude du Christ avec tous ses enfants dans les pattes, dont le langage est celui de l’écoute, car il passe son temps à nous écouter, là encore dans notre totalité. Église de Jean ou Église de Pierre ? L’histoire, même évoquée brièvement par Sédir, nous fait considérer plus l’église d’un César avide de perpétuer son hégémonie sur tout le genre humain. Gardons-nous de ne pas nous croire descendants de l’une alors que nous ne faisons que clamer par là-même que nous sommes englués dans l’autre ! Jean et Pierre n’ont-ils pas tous deux le même Ami et n’ont-ils pas tous deux les mêmes imperfections qui assurent ainsi notre part d’ombre ? Nous recherchons l’un peut-être pour sa position autour d’une table.
Au delà donc de ces oppositions, qui sont notre lot de consolation existentielle, il m’apparait plus judicieux, non pas de tenter d’approcher le « cercle très fermé des intimes de Jésus», pour citer de nouveau Cornélius, mais d’œuvrer à avoir un œil moins séparateur sur le monde qui nous entoure, quitte à paraître plus naïf.
Sur le perron, proche d’ouvrir la porte de notre nouvelle demeure, nous devons abandonner cette vision manichéenne de nos existences. Notre spirituel doit saturer notre matériel, pour qu’ainsi nous ne vivions que dans cette unité, peut-être retrouvée et certainement en même temps nouvelle. De nouvelles exigences s’offrent à nous ; bas les masques, plus de comportements de façade. Exigeant ? Non, c’est au contraire un soulagement de n’avoir qu’un lieu de vie et non plusieurs résidences dont il faut s’occuper. Ainsi je suis capable de rendre à César ce qui lui appartient, et avec tout le respect que je lui dois, puisque lui aussi œuvre dans la même main. Je me débarrasse ainsi des faux-semblants, de ces attitudes qui font que je suis spirituel en exposition, et bien souvent matériel avec mes proches.
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