par Laflèche
La vie quotidienne d'un génie
« Vienne, le 28 septembre 1782 :
– Je voudrais avoir tout ce qui est bon, pur et beau ! s’exclama Mozart avant d’embrasser passionnément Constance. »
Essayons de suivre un peu le quotidien de Mozart : manifestement, il vivait à un rythme peu commun, dans un tempo très élevé. Tout est mouvement dans sa vie, de même que sa musique nous emporte dans les subtils mouvements de l’âme. Une brève esquisse de son parcours nous donnera une idée de son destin hors du commun.
Né en 1756, il avait à peine cinq ans lorsque les périples avec son père et sa sœur Maria, dit Nannerl commencèrent : tournée d’Europe pour les jeunes musiciens avec des récitals devant les nobles de la ville à Munich, Vienne, Paris, Londres, Mannheim, Mayence, Rome... Leur père Léopold, en véritable imprésario règle tous les détails de ces voyages. Mozart a sept ans lorsque apparaissent les premières publications de ses œuvres. À onze ans, il a intégré le contrepoint, la fugue, parle l’allemand, le latin, l’italien. Rapidement il y ajoutera sa connaissance des partitions de Bach et de la langue française.
Le 11 décembre 1769, les Mozart se remettent en route pour l’Italie cette fois. Partout, ils reçoivent un accueil triomphal. À Milan, Mozart rencontrera deux musiciens qui auront une influence profonde sur lui : Sammartini et Piccini. À Bologne, il visite le padre Martini le plus illustre théoricien de la musique à l’époque. De retour le 16 décembre, le prince archevêque Von Schrattenbach, employeur de Léopold, est mort. C’est le comte Hieronymus Colloredo qui le remplace. Wolfgang, employé à la cour de Salzbourg va rapidement prendre en horreur ses fonctions d’autant que Colloredo ne lui facilite pas la vie. Cependant le 24 octobre 1772, il repart pour l’Italie pour honorer la commande d’un opéra : Lucio Silla qui est joué avec succès le 26 décembre. Durant ce voyage il compose, entre autres, le fameux Exsultate Jubilate K.165. Il est de retour à Salzbourg le 13 mars 1773, il a maintenant 17 ans.
L’émancipation sociale des compositeurs à la fin du 18ème siècle n’est pas acquise. Les astreintes sociales tenaient bon. Des compositeurs en grand nombre étaient soumis aux ordres de l’église et des responsables politiques. Bach à Weimar avait fait un mois de prison pour avoir osé demander un congé au Duc Wilhem Ernst.
Mozart, à la cour de Colloredo, prince-archevêque de Salsbourg, connait un sort peu enviable. Jeune, conscient de sa propre valeur, impatient de voler de ses propres ailes, il finit par n’avoir plus qu’un désir, car il sentait que de sa réalisation dépendait son avenir d’artiste : quitter sa situation de demi-esclavage. Le 9 mai 1781, il parvint à ses fins. Mozart, qui séjournait à Vienne dans la suite de Colloredo, s’était vu signifier par lui l’interdiction d’y donner des concerts pour son propre compte, et l’ordre de retourner à Salzbourg. Il désobéit sciemment, n’obtint pas son congé mais le prit de lui-même, à ses risques et périls car rien ne l’autorisait à le faire, et, au cours des incidents qui marquèrent ces journées, reçut un coup de pied d’un des fonctionnaires du prince archevêque, le comte d’Arco. Mozart écrit dans une lettre à son père : « Quand bien même je devrais mendier, je ne voudrais plus d’aucune manière servir un tel maître ». Pour l’essentiel, entre Mozart et la société viennoise des années 1780, la rencontre ne se fit pas.
Posons-nous la question : quel homme se cache derrière une telle trajectoire ? Quel esprit curieux, original, vibrant, enthousiaste ! Quelle énergie ! Quelle assommante capacité créative ! Quelle joie ! Et quel humour ! Mozart dépasse largement les normes habituelles. Il a des dons multiples, mobilisé par une irrésistible passion, une endurance phénoménale, vivant au rythme de la créativité qui coule dans son esprit, inlassablement, jour et nuit. À tel point que les épisodes de sa vie, évènements marquants et troublants de sa biographie semblent des épiphénomènes posés sur la trame de la composition musicale. Mozart avait l’esprit vif, toute sa correspondance le prouve. Il utilise les mots comme des notes de musique, en faisant des rimes, des jeux de mots. Il utilisait au quotidien les remarques comiques au sujet de ses contemporains parce qu’il était spontané, sincère, entier. Il démontait aisément les propos de ceux qui pensaient beaucoup moins vite que lui. Il avait coutume aussi, dans diverses assemblées, de s’asseoir au piano et de reproduire, de mémoire, les œuvres de divers compositeurs en montrant leurs faiblesses, en corrigeant et en développant des thèmes supplémentaires, variant aussi les formules rythmiques avec une telle aisance, une telle facilité que le public était conquis. Sauf quelquefois le compositeur en question qui pouvait se trouver là et très mal le prendre. On comprend aisément les foudres qui se sont accumulées sur sa tête. Mais pour Mozart, ces déboires avec la société, il les créait en toute innocence.
Pour Théodore de Wysewa (1912), les artistes de génie ont le privilège de « vivre une existence pour ainsi dire étrangère aux incidents fortuits de leur vie privée ; une existence où les libres créations de leur cœur ou de leur cerveau dépassent en importance les menus hasards des évènements que nous les voyons obligé de subir ».
Alfred Tomatis donne aussi son éclairage : « Mozart est un génie d’enfant avec tout ce qui s’y rapporte : l’ouverture spontanée au monde grâce à une adhésion perceptive dénuée de préjugés éducatifs, à une attitude psychologique non troublée par des relations parentales problématiques [...] à ne pas confondre avec une approche naïve de la vie, comme on a trop tendance à l’attribuer à l’intouchable Amadeus. »
À suivre de plus près la destinée de Mozart, on observe que son matériau musical et spirituel ne cesse de croître alors que les difficultés s’accumulent : jalousies et trahisons dans l’environnement professionnel, soumission à des nobles ou des religieux qui n’acceptent pas l’originalité des œuvres du musicien, obligeant celui-ci à produire de la musique légère. Le tourment du compositeur qui ne peut pas trouver le temps adéquat à sa créativité et qui prend sur son sommeil et sa santé. Des retards de paiement, des fausses accusations contre-lui qui engendrent des frais de justice. Les dettes financières. Quatre enfants morts en bas âge. La perte subite de sa mère Anna-Maria alors qu’il est seul avec elle à l’étranger. La difficulté de communication avec son père Léopold. L’amour impossible avec Aloysia Weber. C’est peu de dire que la vie quotidienne fut lourde en évènements et en émotions pour Mozart. Et c’est stupéfiant de voir que le génie musical reste intact et se sublimise encore dans les dernières années de sa vie.
Il est regrettable qu’une certaine image de Mozart se soit développée dans les esprits : celle d’un homme resté puéril, coureur de jupons et irrévérencieux. C’est une vision toute de surface et erronée. Il est passionnant au contraire de constater à quel point Mozart fait preuve de maturité et de délicatesse dans les relations humaines. Il est touchant dans son rapport avec ses parents parce que d’une part il réussit à se dégager de leur influence (ses parents l’imaginait compositeur à la cour, fonctionnaire du prince-archevêque) afin de prendre les risques nécessaires pour développer une pensée musicale originale, hors du commun, hors des contraintes et hors du temps et des modes et, d’autre part, il reste totalement fidèle et respectueux de ses origines en prenant soin notamment de maintenir tous les liens rassurants possibles avec son père. Et surtout, le point de voûte de la vie de Mozart, que dire le centre, le feu de son âme, de son génie, c’est l’amour indéfectible de Constance son épouse. Et quel amour ! Il faut voir avec quel aplomb et quelle sérénité celle-ci se tient au cœur de toutes les aventures du couple et de leurs deux enfants. Les échanges entre les deux êtres sont magnifiques de simplicité, de complicité et de profond respect. Mozart est d’une totale fidélité à celle qu’il aime. L’amour du couple Mozart, c’est l’essence sublime de la créativité du compositeur, toute faite de féminité, de beauté, de stabilité sentimentale et émotionnelle. La force du couple Mozart, c’est le premier secret qu’il nous ait donné de découvrir lorsque l’on se penche humblement sur les traces de son existence. L’autre aspect de sa personnalité secrète est son rapport au divin. Mozart tient-il son inspiration directement du Ciel ? Il s'est peu exprimé sur le sujet. Il disait entendre la musique dans son âme, qu’elle entrait en lui directement. C’est étonnant de constater le peu de rature sur ses partitions. Qu’il fût très inspiré, c 6est certain. Il fût surtout un grand travailleur et un très habile artisan. Un de ses prénoms était : « Aimé des Dieux ».
« Parfois, ce n’est pas moi qui fait de la musique mais c’est la musique qui me fait. Alors, le flot s’écoule et rien ne saurait l’arrêter. »
Hocquard, Jean Victor, Mozart ou la voix du comique.
Massin, Jean et Brigitte, Histoire de la musique occidentale.
Jacq, Christian, Mozart, Le fils de la Lumière.
Tomatis, Alfred, Pourquoi Mozart.
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