par Chappuis
En 2002, nous étions, ma femme et moi, dans la petite ville d’I... pour une affaire privée ; avant de repartir nous nous sommes dirigés d’un pas décidé vers le centre et, dans notre ligne de mire, nous avisons un bouquiniste chez lequel nous étions allés peu de temps auparavant pour vendre des livres. Comme aimanté, je me retrouve devant un bac rempli de livres. Mon regard se porte sur un vieil ouvrage Pages de la vie de Joseph Balsamo, que je feuillette négligemment, le reposant tout de suite, sûr de ne rien trouver d’intéressant. Le bras de ma femme m’arrête dans mon action. Elle me dit de ne pas négliger le fait que ce livre nous est tombé dans les bras, si je puis m’exprimer ainsi.
Le soir même je m’attèle à la lecture de ce livre, très dubitatif. Il semble faire partie d’une collection intitulée Révélations de l’esprit, c’est le tome II d’une série de 6 volumes, édité à Genève, l’auteur en est Louis Prod’hom,. Mais je vous avoue que ce ne sont pas ces détails qui m’attirent de prime abord. Très vite je suis subjugué par le personnage central, Balsamo, bien sûr.
Il est au Caire, bientôt il se retrouve au milieu de gens suspects dans leurs agissements. Le voilà ainsi au fil des pages œuvrant à la libération de personnes sous l’emprise d’autres. Mais ce qui est le plus troublant dans ces histoires racontées, c’est le comportement de Balsamo. On y retrouve des accents des pages du mémoire de Cagliostro. Ce dernier nous dit qu’ « un ange puissant veille sur [lui], dirige [ses] actes, éclaire [son]âme, développant [ses] forces latentes en [lui] ». Balsamo quand il se trouve en difficulté « appelle son père » et parfois c’est une main supérieure qui s’empare de la sienne pour agir, aussi bien pour guérir – « je vis une main diaphane arriver […] prendre mes deux mains [...] – que pour contrer une force adverse – « […] alors une main de fer s’empara de la mienne […] je laissais aux cieux le soin de tout accomplir ». « Un amour qui m’attirait vers toutes créatures d’une façon impulsive, une ambition irrésistible, […] me poussaient et me jetaient vers la vie... », c’est ainsi que s’exprime Cagliostro, c’est cela que j’ai ressenti chez ce Balsamo.
Forts de cette découverte, puisque ma femme aussi s’est emparée de cet ouvrage, nous sommes retournés chez le bouquiniste pour avoir des informations sur la provenance de ce livre et, peut-être, trouver le tome I et les autres. Il nous assure que ce livre lui a été amené par un bouquiniste de Genève, et que c’est le seul en sa possession. Nos recherches livresques ne donnent rien non plus, pas de référencement, ni de ce livre ni de l’auteur.
Une escapade nous amène à Genève pour retrouver la provenance de ce livre, mais le bouquiniste du lieu ne peut davantage nous renseigner. La seule piste qui s’offre à nous c’est tenter de retrouver les descendants de l’auteur – la qualité de l’ouvrage nous incitant à penser qu’il date du début du XXème siècle, aucune date n’étant mentionnée –, à supposer que ce soit bien son nom et non un pseudonyme.
J’ai donc écrit à plusieurs Prod’hom résidant à Genève. Au mois de juin, je reçois un appel téléphonique d’une dame qui se présente comme la belle-fille de ce monsieur et qui est d’accord pour nous rencontrer. Et nous voilà repartis en juillet pour Genève. Nous rencontrons alors une très vieille dame aux yeux vifs qui nous raconte l’histoire suivante.
L’auteur, un horloger bijoutier réputé de Genève, marié et père de deux garçons, quitte tout, entreprise, femme et enfants, après avoir rencontré une femme qui va devenir son guide spirituel et son médium. Il se retire avec elle et le mari de celle-ci qui sert de couverture, dans un lieu tranquille à la campagne. C’est ainsi que démarre l’écriture de cet ouvrage qui durera plusieurs années. Il écrit en fonction des visions de cette médium, toutes centrées sur la vie de Balsamo. Il en oubliera tout le reste et laissera sa famille plus ou moins ruinée se débrouiller seule dans la tourmente de la guerre de 1914. Ses deux fils ne lui pardonneront jamais. Tout en parlant, cette dame de 93 ans a déposé sur la table le tome I, publié en 1917, elle nous l’offre ainsi que deux photos, une de son beau-père qu’elle aimait beaucoup et avec qui elle aimait discuter et l’autre celle de la médium. Nous avons alors l’espoir de pouvoir retrouver la collection complète, mais elle nous détrompe et nous apprend qu’à la mort de l’auteur, ses fils ont brûlés tous les manuscrits non publiés, voulant effacer ainsi par leur geste, le terrible malheur dont ils avaient été victimes avec leur mère.
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