par Laflèche
Dans l’art délicat de la communication, j’aimerais pouvoir un jour me sentir libre dans l’utilisation de la parole, c’est-à-dire en accord avec mon idéal : ce serait par exemple, dans mes rencontres, avoir le mot juste, dire ce que j’aime, dire les paroles encourageantes et réconfortantes pour les autres. Savoir aussi à l’inverse me taire. Avoir le sens du raccourci dans mes propos. Une autre fois, ce serait pouvoir élever la voix face à une situation ; dire : non ! Pas question ! Et tout çà, voyez-vous dans une justesse de sentiment, dans une constante fidélité à l’attachement de notre idéal, c’est-à-dire : la mise en application pratique de l’enseignement de l’Évangile. Comme disait Sédir : « unir l’idéal le plus vif au sens pratique le plus volontaire ». On pourrait dire ici : par une utilisation de la parole la plus appropriée aux circonstances. Franchement, que les paroles prononcées soient vraiment dans la vie et ce, de manière constante, ceci reste pour moi un horizon très lointain ! Pour l’instant sur mon chemin, que ce soit dans des moments de partage ou dans les nombreuses situations de la vie quotidienne – comment vous dire ? – avec les mots, je me cogne, je me heurte et je me frotte avec le point de vue des autres. Je dirai même mieux, il n’est pas négatif que l’on se heurte avec les mots pendant nos moments de convivialité aussi ! Ce que je voudrais dire, c’est l’importance de parler, de ne pas parler et surtout dans les deux cas d’être inspiré.
De l’importance de parler...
J’ai parfois le sentiment d’être en accord avec ma liberté, mon idéal et l’harmonie universelle tout en étant en désaccord avec ma famille, mes amis, mes collègues. Je vais me frotter aux autres par un point de vue différent.
La question est-elle : qui a tort ou raison ? Je ne le crois pas. Je ne peux pas dire à l’autre que ce qu’il dit est « hors sujet » car plus je vais aller dans ce sens, plus il va, inversement, se retrancher dans ses positions. La réalité, c’est que les deux façons de penser et d’agir sont réelles et avouables. Comment vais-je alors communiquer mon point de vue ?
Qu’est-ce qui importe? Donner son point de vue, certes, mais de quelle manière ?
L’idéal serait d’exprimer à chaque occasion son sentiment sur quelque question que se soit. Se donnant le droit en plus d’avoir un avis sur la question qui soit uniquement valable dans un contexte précis et n’allant plus dans un autre. En caricaturant cette proposition, on pourrait imaginer cette situation : « hier, en te disant oui à cette question, j’étais sincère, et aujourd’hui en te disant non à cette même question, je suis sincère aussi ». Ceci pour dire que rien n’est figé dans l’individu, rien n’est arrêté. Même si cette dernière démonstration n’ira pas dans le sens de la paix des ménages !
C’est une forme de courage que de devoir dire une chose simple à une personne. Parfois il nous coûte tant de dire un mot ! Osons dire ce que nous aimons et ce qui nous dérange sans la peur du jugement des autres qui paralyse si souvent notre attitude. En assumant le mot prononcé et en se souvenant du proverbe persan : « Le mot que tu retiens est ton esclave, celui que tu prononces devient ton maître. »
J’ai le droit de dire mon opinion ! Je peux toujours dans mon existence, après bien des détours et des détours, arriver à dépasser les conditions de mon enfance, de mon éducation et oser dire mon sentiment, ma position sur un sujet à ceux qui m’entourent. Si je ne le dis pas alors qu’il me semblerait juste de le dire, je cultive en moi un ressentiment, une petite toxine qui peut grandir, car je ne crois pas que l’on puisse tenir dans un silence définitif les paroles qui auraient été libératrices pour soi. Si les paroles ne sont pas exprimées, il semblerait que notre physiologie les garde en dedans, dans les couches profondes de notre personnalité, pendant des années, attendant que ces paroles trouvent l’opportunité d’être exprimées. À défaut, c’est le corps qui parlera par le biais de la somatisation.
De l’importance de ne pas dire...
Lorsque je ne dis pas mon point de vue, c’est parfois dans l’optique de maintenir la relation avec mes camarades à un certain niveau de respectabilité acceptable (pour qui, pour quoi, au nom de quelle norme, au fond, posons-nous la question ?). Vu sous un angle extérieur on dirait : ceux-là s’entendent bien, leur activité fonctionne, leur action s’effectue. Alors que vécue au plus près des uns et des autres, l’impression serait bien différente. Des échanges de point de vue personnels n’ont pas eu lieu, des non-dits subsistent et un certain malaise s’installe dans la famille, le groupe, la corporation.
Dans ce cas c’est à l’individu de savoir s’il retient ses mots pour éviter un conflit, pour éviter de « faire des vagues » ou bien s’il a su développer en lui une perception plus subtile de la situation qui lui fait savoir qu’il n’y a rien qui ne doit être dit sur l’instant. Ce qui n’exclut pas que son point de vue soit exprimé plus tard, ailleurs et peut-être autrement que par la conversation, que ce soit par l’écriture, par l’échange d’un regard, par une convivialité au delà de l’utilisation de la parole.
Face à une personne nouvelle qui nous interroge au sujet de la spiritualité, le bon sens nous incline parfois à ne pas préciser certains éléments de notre vie intérieure ainsi que l’activité de notre famille spirituelle tant que notre intuition ressent la nécessité de taire certaines choses. Ainsi, ne pas dire parfois sera notre protection aussi.
L’élément central de toute cette entreprise de la parole, son inspiration, son socle c’est notre attachement indéfectible au Père et l’utilisation de la prière. Cette dernière nous guidera au travers de nos propos.
De l’importance d’être inspiré dans nos propos...
Au lieu de multiplier les exemples de ces nombreux cas où la parole sera de mise, ou bien les cas où le silence sera notre allié, penchons-nous sur ce qui au-delà des mots nous porte, nous inspire, nous tend vers un idéal. Sont-ce vraiment les mots qui portent une force en eux ou bien l’esprit dans lequel ils sont émis ? On le voit bien, les mots seuls ne suffisent pas à convaincre, les mots parfois sont des coquilles vides. Il y a autre chose que les mots. On sait d’expérience scientifique que nous écoutons plus la façon dont les mots sont prononcés que leurs sens – étonnant, mais vrai –, que la physionomie de l’orateur est prépondérante. Nous savons que de sinistres personnages ont rallié les foules par l’utilisation de la parole. Nous avons des spécialistes du discours, des virtuoses du slogan, de la parole, qui font mouche à force de techniques de communication.
Plus que les mots, notre passion, notre enthousiasme feront passer notre propos et cela est bon, ne l’enlevons pas. Ceux qui ont la passion artistique ou la folie du sport savent nous transporter par leurs paroles. Et ceux qui vivent la foi ? Avez-vous assisté à un gospel chanté par les noirs Américains ? Quelle émotion ! Oui, direz-vous, mais il y a aussi les Évangélistes qui mettent les fidèles en transe, et les gourous de toutes sortes. On ne peut pas tous les mettre dans le même panier. Certains auront des effets plus ou moins bénéfiques. Ils ont tous des responsabilités quant à leurs propos, comme nous d’ailleurs. Que l’on cause ou que l’on ne cause pas.
Nous avons vu qu’au delà de la parole, de l’élocution, de l’importance relative des mots il y a l’essence du discours, son esprit, son inspiration dont le ferment se trouve être notre attachement avec le Ciel et que cette unité en nous de parole, de geste, de regard déterminera l’impact du message sur notre interlocuteur. Effet qui nous dépasse, qui ne nous appartient plus dans la mesure où l’on efface notre volonté propre de vouloir convaincre à tout prix par notre discours.
Maintenant rapprochons-nous un instant de certains individus plus ou moins causants. Un certain Monsieur Chapas recevait un ami qui était venu le trouver d’urgence pour résoudre des problèmes personnels et aussi lui poser des milliers de questions pour l’instant sans réponses. Monsieur Chapas était occupé à cet instant-là dans son potager, il fait venir son ami au milieu du jardin et lui dit : « tu vois ici je plante des navets, ici je plante des carottes ». L’invité n’a pas dit mot, il n’a posé aucune question et s’en est allé tout à fait rasséréné et ses mille questions résolues.
Voici ce que dit le poète Khalil Gibran :
« Quand vous rencontrez votre ami sur le bord de la route ou sur la place du marché, que l’esprit en vous anime vos lèvres et dirige votre langue.
« Que la voix en votre voix parle à l’oreille de son oreille ;
« Car son âme gardera la vérité de votre cœur tel le bouquet du vin qui persiste.
« Quand la couleur en est oubliée et que la coupe n’est plus. »
Un jour, au cours de son procès, Cagliostro se lève et nous dit :
« Je parle, et votre âme frémit en reconnaissant d’anciennes paroles ; une voix, qui est en vous, et qui s’était tue depuis bien longtemps, répond à l’appel de la mienne... »
Et Jésus-Christ disait :
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