par Alain Pontailler
Ils étaient tellement profonds qu’on ne pouvait les connaître.
Comme on ne pouvait les connaître, je m’efforcerai de donner une idée de ce qu’ils étaient. »
J’avais vingt ans, je venais de quitter ma famille dans la banlieue parisienne pour aller poursuivre mes études à l’école de commerce de Montpellier. Quelques livres d’alchimie, sujet qui me passionnait depuis cinq ou six ans, m’avaient suivi dans mon voyage. Parmi ces livres Les Essais Chimiques d’Eckhartshausen commentés par André Savoret.
J’avais trouvé ces commentaires tellement intéressants que j’avais écrit à ce commentateur, aux bons soins de l’éditeur. J’ai reçu quelques jours plus tard une réponse très aimable ; je ne savais pas à l’époque que Savoret était directeur des publications chez cet éditeur et c’est certainement lui-même qui a ouvert mon courrier.
Aux premières vacances scolaires pendant lesquelles je suis retourné quelques jours chez moi à Argenteuil, je lui ai rendu visite chez lui à Paris sur son invitation. À la porte de son appartement au 181, boulevard Voltaire, j’ai été frappé de voir à côté de la sonnette un médaillon en bronze qui était la reproduction d’une monnaie gauloise représentant un sanglier entouré d’étoiles.
Ayant lu son livre Du Menhir à la Croix et quelques unes de ses poésies, je m’attendais à voir un grand druide à la barbe blanche ; quelle ne fut pas ma surprise de voir devant moi un titi parisien à l’œil malicieux ou un irrégulier de « Baker Street » (les mercenaires du service de renseignement de Sherlock Holmes), avec un regard scrutateur comme un rayon X !
Dans l’entrée, la première chose que je remarquai fut un portrait de Jeanne d’Arc dont j’appris plus tard que c’était le seul authentique de cette champenoise. Ensuite, dans la pièce qui lui tenait lieu de salon, bureau, chambre et laboratoire, mon regard a été tout d’abord attiré par une série de portraits encadrés, reproductions de gravures, peintures ou photos de saint-Vincent de Paul, du Padre Pio, de Khunrath, du curé d’Ars, de Mme Guyon, de Nostradamus, d’Eckhartshausen, de Paracelse, de Sédir, de Phaneg. Il y avait aussi des portraits de personnes dont je ne connaissais pas encore le visage, comme M. Philippe ou Mme Salska.
Ce jour-là, et tous les autres jours où je l’ai rencontré par la suite, je n’ai pas vu le temps passer. Et sur le moment, de même qu’après l’avoir quitté, je fis à son sujet des remarques que je fus très surpris de retrouver presque à l’identique dans Initiations de Sédir, à propos d’Andréas.
Par exemple au début du chapitre « Andréas » : « Ce n’est que plus tard que je pus y lire, en même temps que la bonté, la finesse et l’intelligence, et beaucoup d’autres choses » ; dans le chapitre « Examen du Vedanta » : « Enfin j’avais donc trouvé un homme qui ne parlait pas par ouï-dire ; j’avais trouvé un véritable expérimentateur ! [...] Il s’exprimait de la façon la plus simple ; mais, derrière ses discours familiers [...] je percevais de plus en plus la lueur mystérieuse, très douce mais très forte, annonciatrice véridique des Présences surnaturelles. Cette dualité me déconcertait. Je n’osais pas lui poser de questions précises [...] » ; dans le chapitre « La vision du mental » : « Il fumait beaucoup mais parlait peu. Et je dois mentionner que, chaque fois que je sortis avec lui, je me trouvai dans un état nerveux très spécial. Les spectacles du chemin ne me distrayaient plus d’une certaine tension intérieure, grâce à laquelle les sujets de nos dialogues se trouvaient éclaircis presque avant d’avoir été formulés. Il me semblait être sur une plate-forme d’où j’apercevais l’envers des choses, à vrai dire leur endroit. Je ne sentais plus mon corps ; jamais de fatigue ; et, au retour, la sensation interne d’avoir appris bien d’autres choses que celles dont il m’avait entretenu. » ; ou dans le chapitre « L’homme attaché à la terre » : « Il avait, disait-il, des choses compliquées qui le préoccupaient en ce moment ; mais je ne sus rien de plus. Il paraissait fort pressé d’être de nouveau seul ».
À l’époque, j’avais encore le réflexe puéril de vouloir faire rentrer les gens dans des cases ou de leur mettre des étiquettes. Avec Savoret, c’était absolument impossible, une planche entière d’étiquettes n’y aurait pas suffi. La meilleure comparaison qui me vienne à l’esprit est celle de l’habit d’Arlequin, fait d’une multitude de pièces de toutes formes, matières et couleurs. C’est d’ailleurs une comparaison qu’il utilisa dans un de ses poèmes, que je lus longtemps après m’être fait cette remarque. Je pense que vous êtes curieux de connaître quelques pièces de cet habit d’Arlequin ; en voici quelques unes, en vrac, telles qu’elles me reviennent en mémoire.
L’alchimiste : dès son plus jeune âge, Savoret a ressenti la vocation de l’alchimie. Pendant la guerre de 14-18 il avait dans sa musette sur les champs de bataille et dans les tranchées le De Signatura Rerum de Jacob Boehme et Hermès Dévoilé de Cyliani. Dans ce domaine, il a énormément lu et travaillé (mais dans quel domaine ne l’a-t-il pas fait ?) et rencontré des spécialistes de premier plan : Canseliet et son entourage, Dujol de Valois, Auriger, le Dr Vernes, Faugeron, ainsi que Sédir qui était très calé sur le sujet. Il a vécu quelques années à Vienne en Autriche, dans une famille (les Salska) qui l’a mis en relation avec des continuateurs d’Eckhartshausen. Et bien entendu, il avait son laboratoire. Mais aussi une très grande connaissance des mines et gisements de minerais métalliques en France et même en Europe ; nous avons travaillé ensemble sur certains sites de Bretagne, du Lyonnais et des Pyrénées.
Le thérapeute : c’était non seulement une vocation très profonde, mais aussi un véritable apostolat auquel il consacrait de nombreuses heures chaque jour, à recevoir des malades et à travailler sur leurs dossiers, mais aussi à préparer des remèdes – y compris ceux mis au point par M. Philippe.
Il avait un excellent diagnostic qui s’appuyait sur son intuition et sur les réponses obtenues suite à ses prières, mais aussi sur ses connaissances en homéopathie (qui donne l’habitude de regarder le moindre indice chez un malade), en médecine traditionnelle chinoise et autres, en fonctionnement des chakras.
Le directeur des laboratoires Lehning à Metz avait pris l’avion pour venir le voir une journée entière à Paris.
J’ai appris avec lui beaucoup de choses en spagyrie, notamment sur les plantes et sur les nodules de marcassites des falaises du Pays de Caux, ainsi que sur les rognons de silex de même provenance pour faire du vin solarisé.
Le poète, écrivain et éditeur : poète et écrivain inspiré et combattant les bons combats, il avait eu la chance de rencontrer Jacques Heugel, d’une vieille famille noble d’Écosse, qui lui a confié la vie de sa maison d’édition.
Son poète préféré était Omar Khayyam (du Khorassan au nord de l’Iran, 1040 env. – 1132) :
« Un nuage est venu ; de nouveau sur l’herbe ont plu des pleurs :
Sans vin vermeil il ne faudra pas vivre ;
Cette herbe qui ce jour est notre perspective
Sera sur notre tombe la perspective de qui ?
J’étais un épervier, je me suis envolé du monde secret,
Me croyant digne de t’approcher. Mais Tu es sur un tel sommet !
Lors, n’ayant pas trouvé d’intime à qui me confier,
J’ai dû retrouver la porte par laquelle je suis rentré. »
Bien entendu, comme tous ceux qui apprécient la poésie et la littérature, il était un excellent critique littéraire, en écrits, en conférences ou en petit comité. Je demeure fasciné par sa connaissance et la justesse de son approche de Victor Hugo, d’Edgard Poë, de Gérard de Nerval, de Goethe ou de Balzac.
On lui doit la réédition de nombreux textes d’intérêt primordial, mais aussi deux ouvrages qu’il a écrits : Du Menhir à la Croix, un ouvrage de jeunesse dont il aurait voulu donner une nouvelle version (il n’en a pas eu le temps) et son chef-d’œuvre Visage du druidisme qui aborde la question du baptême chrétien du druidisme à travers l’étude de la Gaule, de l’implantation du christianisme dans ce pays, de la science des druides et de l’évolution du thème du Graal. Il y donne aussi des informations précieuses sur l’alchimie et sur la médecine des druides ; je me souviens de ses préparations de gui de chêne (qui est rare, mais existe vraiment dans de nombreuses régions de France).
Parmi ses diverses sources d’informations et révélations, il a utilisé dans ce livre le fruit de ses travaux archéologiques et de sa collaboration avec le Dr Marcel Baudoin (auteur de la remarquable étude La préhistoire par les étoiles).
Ces travaux ont été également menés par Jean-Gaston Bardet, A.E. Berriman, le Major Brück, le Lieutenant-colonel A. Doneux, Xavier Guichard, Erling Haagensen (Bornholms Mysterium), Jean Richer (Géographie sacrée du monde grec), Alexander Thom (The geometry of megalithic man), David Wood (Genisis).
Qu’ils en aient été conscients ou non, ces chercheurs se sont fondés sur l’Ancienne Alliance de la Bible, Livre de la Sagesse de Salomon, ch. 11, verset 20 : « Mais vous avez tout réglé avec mesure, avec nombre et avec poids » ; ainsi que le Psaume 148, versets 5 et 6 : « Il les a affermis pour toujours et à perpétuité ; Il a donné des lois, et Il ne les violera point ».
Ce que Dante exprime autrement en disant à la fin de chacun des trois livres de La Divine Comédie : « l’amor che muove il sole e l’alire stelle ».
Aujourd’hui on ajouterait les notions de fréquences et de longueurs d’onde.
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