par Marcel Renébon
Effondré dans son fauteuil, pâle et sous l’œil un cerne noir, cet homme encore jeune me démontrait depuis une demi-heure de quels dangers le prévenait la conversation de son dernier visiteur, en l’espèce un inspecteur de la police judiciaire. Vaguement compromis dans une affaire de marché « parallèle », il se voyait déshonoré, ruiné, emprisonné – et pourquoi pas ? – dans cette époque où coquins et gens honnêtes ont franchi côte à côte les portes des prisons. Je tentais tout bêtement de le « remonter », c’est-à-dire de lui montrer la minceur de son affaire, lui suggérant une attitude et des arguments, démolissant ou croyant démolir ses craintes. Rien n’y faisait. Quand un homme est découragé, il y a peu de chances pour qu’un bol de raisonnements lui rende des couleurs. Le hasard fit entrer un tiers ami auquel la guerre a fourni l’occasion de plusieurs séjours dans les prisons de divers pays. Mis au courant, et de complexion vigoureuse, il rit bruyamment et trouva l’argument qui rendit bon teint à la future victime. « Mon vieux, il suffit de regarder cinq ans après – ou même moins – l’importance réelle des événements que nous prétendons graves pour être fixés sur leur valeur. » En foi de quoi, débarrassés du présent par cet éternel, nous allâmes entretenir par un verre de bière l’optimisme revenu.
« Il suffit de regarder cinq ans après l’importance des événements que nous prétendons graves... » Je passai ma soirée à confronter cet axiome sans prétention avec mes souvenirs. Je dus convenir qu’il avait du bon.
Tout, certes, est important – et beaucoup des actes que nous estimons, sur le coup, insignifiants. Mais rien n’est, en effet, décisif. Autour du tapis vert rien n’est jamais joué. Personne ne peut, ayant gagné, garder sa mise. Personne ne peut, ayant perdu, désespérer de la retrouver.
Un certain humour souligne du reste l’événement le plus grave. Il faut être grognon pour en refuser la reconnaissance. Ce malade étendu sur un lit de l’Hôtel-Dieu, n’ayant plus une chemise, pointait avec application un énorme dossier contenant l’inventaire de sa fortune perdue ! Cet autre, agonisant, retrouvait quelque souffle pour chamailler sa femme, habitude prise depuis quarante ans. L’homme ruiné a quitté l’hôpital, son dossier sous le bras. L’agonisant, contre tout pronostic médical, a retrouvé la force d’attendre la prochaine crise. Rien n’est jamais joué !
Certes, l’abord d’un être qui souffre sollicite notre amour, notre douceur, notre participation. Mais il est bon et efficace de ne pas se laisser dominer par le tragique. Donner dans le jeu du désespéré, c’est reconnaître la validité de son désespoir. C’est mentir, car, si tout est sérieux, rien n’est désespéré.
Le recul du temps, qui permet de classer les événements dans leur véritable hiérarchie, n’est évidemment pas facile. C’est la force du chrétien de pouvoir se tenir hors du temps. La méditation, la prière l’engagent hors du mouvement de la roue dont la seule circonférence est mobile. Au centre, près de Dieu, tout est calme et sérénité. La catastrophe – et aussi l’événement heureux – ne nous trouvent qu’à demi participants. Nous savons bien que ce qui se passe ici n’a d'importance que par sa réflexion sur les plans invisibles et comme exercice d’école. Mettons que nous devions montrer, plus que du détachement, de l’attachement contrôlé. Si nous sommes assez près du Christ, Il nous soufflera, au bon moment, la parole heureuse ou nous suggérera le geste utile. Nous pourrons sourire sans blesser, compatir sans larmoyer, aider sans abandonner ce calme, cette paix qui sont les meilleurs dons du Ciel à ceux qui Le servent.
Bulletin des amitiés Spirituelles, juillet 1951
Face à l'adversité, prendre du recul. Autrement dit, redevenir humble pour gagner en grandeur d'âme.
Le regard plongé dans l'espace infini du ciel, on se sent petit, mais l'on voit les choses grand.
Alors oui! se projeter 5 ans après! Et encore davantage. Combien dans l'éternité le moins de nos actes, de nos cheminement d'un instant semble anéantir l'importance que nous lui portons, que nous portons à nous-même. Mais combien aussi dans sa petitesse il restera résonnera pour toujours.
Amicalement
Rédigé par : Un passant | 06 février 2012 à 18:22