par Chappuis
Échappant aux définitions restrictives des dictionnaires, je veux plus laisser couler le fil de ma pensée, déclinant l’amitié comme l’on décline un met suivant les humeurs variées de nos désirs.
L’amitié est une fleur épanouie par les relations humaines ; elle se teinte différemment en fonction de l’aquarelliste qui tient le pinceau. Elle nous offre toutes les palettes des émotions ; elle est délicate sans pour cela dénuée d’une grande force intérieure ; jamais rigide, sinon elle se casse au moindre souffle de vent.
On la pare de vertus qu’elle n’a pas en propre puisqu’elle ne prend forme que parce que des humains l’accueillent ; elle prend alors leurs couleurs, chatoyantes parfois, grises au fil de certains temps. Elle exprime l’intensité dans la rencontre de deux êtres, « à survivre à l’absence ».
Gibran nous dit : « Votre ami est la réponse à vos besoins car il lui appartient de combler votre besoin mais non votre vide » C’est ainsi parce que nous avons besoin d’une main, besoin d’un regard, d’une tendresse, besoin que l’amitié s’installe bien au chaud. Mais elle est libre, ne veut pas de chaîne, et s’en va au loin lorsque les clochettes de la contrainte apparaissent.
Elle peut être éphémère, dans notre temps à nous, sans pour cela se sentir rejetée, car il y a des rencontres d’un instant le long de notre chemin.
Adolescents, nous la côtoyons dans nos exigences, dans l’absolu, avides nous la disputons goulûment. Mais nous la rêvons aussi dans le silence de nos mots qui peinent à éclore.
L’amitié se cultive, et pour cela il lui faut une bonne terre, une terre riche de cet élément essentiel qu’est le respect de l’autre. Respecter mon prochain, c’est bien ne pas lui faire ce que je n’aimerai pas qu’il me fasse. Et pour atteindre cette altitude, on a besoin d’une vigilance dans chaque instant passé avec l’autre : une attention dans notre attitude et une mesure de nos paroles. L’amitié n’a pas besoin de qualificatif, toujours trop restrictif. Elle est exigeante, car sans effet miroir elle n’est pas ; certes elle donne, sans calculs, mais s’épuise faute de ce combustible qu’est l’échange, le regard de l’autre, le mot attendu. Sans cela elle s’effiloche. Elle aime aussi recevoir. Elle ne peut fonctionner à sens unique, au risque de devenir une relation étouffante et de se perdre alors.
On se sert aussi de l’amitié comme d’une carte de crédit. Une bonne tape dans le dos, je glisse mes pieds sous la table et le tout sous la couette ; l’amitié prend soin de l’autre, à outrance même, mais une outrance maîtrisée, sans déclamations d’intentions ni gesticulations « cervantesques ».
Elle est féminine, sans fard ni maquillage ; ses yeux profonds m’invite à tendre la main pour faire un brin de chemin avec elle. Et si un instant je détourne mon regard, elle m’échappe et me voilà inquiet, la recherchant au milieu de la foule de mes sentiments. Jamais bien loin, elle attend mon bon vouloir, cet instant magique où je croise son sourire. Marcher quelques instants à ses côtés, parler ou ne pas parler, mais sentir.
Elle reconnaît l’autre, elle connaît de nouveau, elle s’incarne de nouveau avec lui ; elle en fait son frère ou sa sœur et ce lien familial, et non familier, au-delà du sang, lui ouvre les portes de la rencontre de deux êtres. Mais reconnaître l’autre n’est pas une formule évangélique : l’initiation qui nous la révèle n’appartient à personne. Le manuel pratique qui l’évoque s’ouvre sur un titre : « Aime ton prochain comme toi-même. »
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