par Marcel Renébon
Mon ami Benoît Manchon est un initié. Il n’aime pas le dire – car ici, le secret s’impose –, mais il le suggère à d’autres spiritualistes occultisants au hasard de rencontres qui s’enveloppent d’un mystère certain. Benoît Manchon est le meilleur homme qui évolue entre la croix du Christ et la pierre philosophale. À l’occasion, il mange de bon appétit des nourritures terrestres. Mais il en éprouve quelque honte. Du reste, la levure de bière, un pain terriblement complet, le miel et le sel gris sont les bons morceaux d’un régime qui a beaucoup varié depuis que nous nous connaissons ; la science évolue, n’est-ce pas ? Précisément Manchon suit ses progrès avec une curiosité qui est, chez lui, le signe d’une éternelle jeunesse. Il ne lit pas, il dévore ou, plus exactement, il se laisse dévorer par les livres. Plus d’une fois, j’ai vu fringaler son long nez au-dessus des boîtes des bouquinistes. Non qu’il soit crédule, loin de là. Tout ce qui est « officiel » reçoit de lui un accueil glacé. Il réserve sa tendresse pour la littérature outragée par ce temps (celui de la matière), tels la « Philosopia tellurique » d’Hortense Sirevanancarantana et le « Pourquoi penser ? » d’Octave Mahu. Ces deux auteurs lui doivent beaucoup. En d’autres temps, il les propageait avec fureur, payant de sa bourse et de sa personne pour répandre le bon grain. Comme la maison Larousse, Benoît Manchon sème à tout vent. Mais parfois le vent tourne. Le tronconisme, doctrine totale fraîchement importée du Thibet par un moine qui boit maintenant sa bière aux alentours de St-Germain-des-Prés, a porté un coup mortel à Hortense et à Octave. La science évolue, vous dis-je...
Pour la maladie, Benoît Manchon est impeccable. Il oppose Paracelse à la pénicilline avec une autorité devant laquelle les plus sceptiques s’inclinent. Il connaît les plexus comme pas un. De son doigt maigre, à travers le vêtement, il pointe celui qui cloche et, quand il est en forme, il vous l’asticote d’une seule passe : car Benoît Manchon a un « magnétisme du tonnerre », comme dit sa femme, une personne charmante et très simple, qui admire à juste titre son grand homme de mari. Du dévouement de Benoît Manchon je n’ai à citer qu’un exemple. J’étais en proie à une crise d’urticaire. Dévalant les hauteurs de Bagnolet – où il habite, au-dessus des Miasmes de Babylone – avec un énorme bock sous le bras, il est venu pendant quarante huit heures m’administrer des lavements diurnes et nocturnes dont l’horaire évoluait en parallèle avec les mouvements de la lune (Je n’y puis rien. C’était ainsi... ). Mon urticaire n’a passé qu’à trois mois de là, mais nous avons trouvé la cause de ce retard, ce qui était vraiment la chose importante : Manchon avait confondu deux mois du calendrier des Postes qui nous servait de repère, de sorte que cette série « détergente » avait fâcheusement coïncidé avec l’entrée de Saturne dans une maison hostile.
Depuis, Benoît Manchon a changé ses batteries. Ses basques sont pleines de flacons numérotés avec soin, qui contiennent des liqueurs, des poudres, des granules multicolores. Il donne dans une super-homéopathie qui, Dieu merci, n’a rien à voir avec la science grossière professée par certains médecins qui ont pignon sur rue. Quelques vieilles dames, soignées à temps, s’en trouvent très bien.
Sur l’Évangile il nourrit des pensées fortement personnelles dont je ne dirais qu’un mot – couvert – du fond de mon indigence spirituelle. J’ai cru comprendre que les actes et paroles du Christ lui semblent avoir été racontées d’une façon quelque peu simplette par quatre bougres dont la bonne volonté n’est pas en cause, mais qui manquaient de culture et d’informations. Lui fourmille d’hypothèses heureuses qui donnent à Jésus une autre ampleur. La géométrie grecque, les rites magiques des Égyptiens, les incantations Mayas, la Thora juive et la Dhoura hindoue viennent aussi renforcer un Dieu, qui, il faut l’avouer, s’est assez mal débrouillé.
Mais Benoît Manchon tient le commandement suprême : « Aimez-vous les uns les autres », pour un thème sur lequel on peut broder sans dangers. Son dévouement est sans limites, je le redis avec plaisir. Il sait parfaitement que Dieu a besoin des hommes. À cet appel il ne se dérobe jamais : il le devance plutôt dans une soif de servir infatigable. À tout régiment qui défile, il faut un tambour-major. Ses amis ne peuvent en avoir de plus vigoureux. Il lance au ciel, pour notre joie, une canne enrubannée de la sagesse la plus pure, de remèdes, de prières et de forces inconnues qu’il tortille avec l’aisance des athlètes de l’esprit. Si haut parfois qu’on se demande avec inquiétude si un jour elle ne lui retombera pas sur la figure...
Note de l’auteur : Comme on dit au début des films, il va de soi que le personnage de Benoît Manchon ne saurait être assimilé à aucun spiritualiste vivant, son portrait n’étant que le fruit de l’imagination.
Bulletin des amitiés Spirituelles, octobre 1956
bonjour à tous,
N'en déplaise aux amateurs de sensiblerie à défaut de sentiment vrai, j'ai connu un homme comme Benoit Manchon. Son salon devenait la salle d'attente improvisée de consultations des malades et souffreteux de tous poils, ravigorés par une énergie dépassant le magnétisme de Du Potet ou de Mesmer. Sa cave était l'antre de ballons, de creusets et de macérations spagyriques paracelsiens pour remplacer les médicaments coûteux. C'était un fort en gueule, un ami des anarchistes voyant Dieu en toutes choses mais surtout pas dans les confessions dites chrétiennes ou les salles de prières superficielles ou alors dans les politesses mielleuses des caresseurs de l'Evangile, bigots devant, menteurs intéressés derrière, et rêvant de pouvoirs autant psychiques qu'administratifs sans oser le clamer. De ceux qui vous regardent avec des manières de vipère camouflée par le regard d'une biche avide se tripotant les mains tout en prenant une voix tiède pour dire des banalités dans la façon : "Untel a dit...." "il paraît qu'il a fait..." et "moi j'en suis son unique disciple". Pur orgueil et fausse prière d'intention coupée du monde vrai d'en Haut et de son incarnation possible par la solitaire loi de l'humilité et du service discret.
Les états d'hommes peureux et bien pensants cherchèrent à le tuer plus d 'une fois Mon Benoît Manchon, disciple de Guénon comme de jean Ferrat.
Merci à Monsieur Renébon de rappeler tout cela.
Rédigé par : charles | 10 octobre 2012 à 11:53