par Marcel Renébon
On ne parle bien que d’une chose que l’on connaît bien. À supposer qu’à la dernière ligne de cet article la première proposition soit satisfaite, ce court essai sur la paresse sera donc enveloppé d’humilité. Il n’est pas dans notre intention de blâmer les paresseux, légion à laquelle nous appartenons par des liens tenaces. Au plus s’agit-il de prévenir, d’informer, de mettre en garde dans un domaine où la paresse s’installe d’autant plus facilement qu’elle y arrive parée des petites fleurs de la vertu : le monde chrétien.
Paresser n’est pas forcément ne rien faire. Peu d’êtres sont assez honnêtes pour s’avouer incapables d’efforts. L’opinion publique loue les travailleurs, ceux qui arrachent leur journée à l’inertie, à la pesanteur. Rien que pour satisfaire à ses fanfares, nous autres, paresseux, sommes capables d’efforts. Faute de travaux réels – ceux qui portent en eux sinon le résultat, du moins la sueur –, nous nous donnons des gants de besogneux, nous affectons des temps remplis, nous paraissons nous crisper sur l’horaire. En fait, c’est une erreur de dissimulation ; les véritables travailleurs ont, presque toujours, la mine détendue, l’œil clair et le teint frais. Ils vivent relaxés, ce qui est leur première récompense. Les autres s’obligent à des remplissages tellement compliqués qu’ils finissent par dépenser pour paraître plus d’énergie qu’il ne leur en serait nécessaire pour être.
La paresse chrétienne – la nôtre – est d’une nature à peine différente. Le jeu consiste à vouloir faire recoudre nos boutons de culotte par le Bon Dieu. Expliquons-nous. Même pour nous autres paresseux, la loi chrétienne signifie d’abord aider les autres. Une journée passée sans satisfaire à cet impératif intérieur nous laisse un goût de cendre. Pour rester fier, digne de cette liberté qui est aussi la part de l’homme, il convient d’ajouter qu’il faut se faire le moins possible aider par les autres. Si nous voguons par vaux, monts et plaines, à la recherche du clochard, de la veuve et de l’orphelin et que nous délaissions le pauvre qui est à notre porte, ou notre femme, ou nos enfants, nous n’aurons fait qu’un transfert inutile. L’Adversaire utilise, du reste, à longueur de jours, notre besoin de dépaysement pour semer le désordre, l’anarchie et, finalement, le malheur. Il est « excitant » de « sauver » l’étranger, il l’est bien moins de faire vivre les siens. C’est pourquoi Sédir nous rappelle avec minutie – une minutie presque agaçante ! – que ce sont d’abord nos proches qui ont droit à notre amour, que notre premier devoir est là. Ainsi se trouvent justifiés les pères et les mères de familles, les employeurs consciencieux, les bons professionnels.
Un autre truc du cher grappin, comme l’appelait le Curé d’Ars, consiste à nous persuader que, Dieu pouvant tout, il est puéril de se déranger soi-même.
Toutes les sauces qui nous détériorent l’estomac sont faites de la même façon. Les marmitons cornus y mélangent très savamment le vrai et le faux. Assurément, Dieu peut tout. Mais, non moins assurément, Il ne fait rien si nous n’avons pas auparavant épuisé les moyens qui nous appartiennent. La prière n’est pas un tapis à tisser pour dissimuler notre manque de courage. Dieu est sourd à certains chantages ; le premier concerne Sa toute-puissance. [...]
Les bonnes gens qui prient sans s’épuiser, les paresseux, dont nous sommes, donneraient à rire s’il ne s’agissait d’une chose sérieuse qui est la vie du monde, cette pauvre vie en équilibre oscillatoire entre le bien et le mal. Il faut s’épuiser, calmement, lentement. [...] La prière n’est que le couronnement de nos journées. Celles-ci doivent être gonflées d’efforts. Que l’homme se plaigne de cette condition, cela n’y change rien. Nous nous plaindrons moins quand nous méditerons tant soit peu l’effort du seul homme véritablement courageux qui ait habité cette planète : Il S’appelait Jésus, Il vint de Nazareth, Il porte encore aujourd’hui la lourde Croix sur Son dos. Le seul effort qu’Il fit, pendant une minute, pour devenir homme – car Il était, Il est Dieu – vaut des siècles de nos travaux. Que cela ne nous décourage pas, car en Lui sont aussi toutes les indulgences.
Bulletin des amitiés spirituelles, juillet 1955
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