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par Marane
Compte rendu d’un livre d’Émile Gillabert, St Paul ou le colosse aux pieds d’argile, paru aux éditions Metanoïa, en 1974.
L’auteur entreprend une étude psychanalytique sur Paul de Tarse, entreprise audacieuse voire teintée d’impiété, impiété dont il s’excuse, mais dit-il : « Nous vivons à une époque où le merveilleux tend de plus en plus à faire place, même chez les chrétiens, au réalisme et au bon sens. Chaque fois qu’une interprétation naturelle peut, grâce aux progrès de la science, être donnée à un phénomène qui relevait traditionnellement d’interventions surnaturelles, nous préférons recourir aux lois du déroulement cosmique plutôt qu’aux interventions de l’au-delà. »
Pour mener à bien son analyse sur Paul de Tarse, il s’appuie essentiellement sur les Épîtres de Paul, car nous avons peu d’éléments sur sa vie.
Saul, c’est son nom juif (1), est né dans les premières années de l’ère chrétienne, à Tarse en Cilicie (2), où son père avait acquis le droit de cité ainsi que la citoyenneté romaine. Saul en est parti vers l’âge de 15 ans pour devenir le disciple de Gamaliel, un rabbin pharisien de Jérusalem.
Au sujet de son enfance, Émile Gillabert fait l’hypothèse qu’il a perdu sa mère très jeune et que son père était distant. Selon lui, Paul a donc souffert d’un manque affectif probable. Il est doté d’une très grande sensibilité qu’il manifestera dans ses Épîtres. Mais curieusement, les images de la nature pourtant propices à des métaphores sont inexistantes. Grand voyageur, il a peur de la mer où il a fait naufrage par trois fois (2 Co 11.26). Gillabert pense que l’absence de bras maternants l’empêche d’être porté avec confiance par la mer. On l’a laissé « tomber ». Il en déduit que cette frustration a pu induire plus tard un désamour de la nature considérée comme hostile (mauvaise) et dit-il : « Comment ne pas être tenté de substituer une surnature » plus satisfaisante pour l’esprit. Quel contraste avec Jésus marchant sur les eaux !
Gillabert poursuit : « Ce sentiment d’insécurité est encore renforcé par la culpabilité de l’âme collective juive particulièrement dans les milieux pharisiens de la Diaspora (3). »
Quant à la nuit, celle-ci « est identifiée aux ténèbres, à l’obscurité du péché. » Quelle différence avec la nuit des Vierges sages qui attendent avec confiance l’arrivée de l’époux !
Gillabert remarque que Paul ne parle jamais de Marie, la mère du Christ (4).
Paul et les femmes
Plus loin (5), il montre que Paul a éliminé de son univers, la femme, l’épouse, la mère. D’une part, sa propre mère morte, est inaccessible et d’autre part « le Judaïsme, religion exclusive du Père a laissé dans l’ombre l’image de la femme ».
Paul a peur de la femme, de la sexualité « identifiée au mal » et par voie de conséquence il rejette la chair comme mauvaise. « La Genèse lui a appris que c’est par la femme que le péché était entré dans le monde (6). »
Les injonctions que dresse Paul à l’égard des femmes sont révélatrices de son manque d’estime pour elles : « Que les femmes se taisent dans les assemblées (Co. 11.6-10) », « Dans l’instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la Loi à l’homme. Qu’elles se tiennent tranquilles (1 Tm 2;12). » Seules des veuves (7) d’un âge canonique (60 ans !) peuvent être des dames d’œuvres, elles ne présentent plus aucun danger.
Quant au mariage, concession à la faiblesse humaine, il est inférieur au célibat. Combien supérieure est l’union de l’Église avec son Sauveur !
Quelle différence là encore avec l’univers de Jésus qui a toujours exalté la présence féminine (8). Il a rendu sa place à l’archétype féminin qui n’a cessé d’exister dans les traditions antérieures au Judaïsme (9). Dieu a besoin de son double féminin pour sa Création. Jésus était bien placé pour le savoir ! Il a réhabilité la femme à sa vraie place, mais pour si peu de temps.
En définitive, c’est la conception paulinienne qui l’a emportée, puisqu’au 4ème siècle, Constantin a adopté l’Évangile de Paul comme substrat théologique principal pour fonder le Christianisme.
La Loi et la paranoïa
Gillabert aborde un autre sujet sensible, celui de la Loi (juive) et de son rapport avec Paul. Ce dernier dit : « Or moi j’étais vivant naguère sans la Loi, mais, quand vint le commandement, le péché reprit vie et moi je mourus... (10) » (Rm 7.9-10)
Gillabert voit dans cette découverte une épreuve difficile à surmonter pour le jeune Saul. Se mesurer à un Dieu autoritaire et vengeur est redoutable, d’autant plus que le jeune homme a une grande sensibilité doublée d’une grande intelligence. Il renonce définitivement à la vie (je mourus), à la nature, pour s’attacher à la Loi et s’identifier à elle à défaut de pouvoir s’identifier à son père de chair trop distant, on l’a vu plus haut. Gillabert pense qu’il ressent à ce moment-là une nostalgie inconsciente de sa mère manquante à laquelle il renonce définitivement. Cette faille non comblée va le maintenir dans une régression qui va l’empêcher d’accomplir son Œdipe de manière satisfaisante.
Pourtant il va tenter « “de tout son cœur, de toutes ses forces” d’affronter la Loi et de s’identifier à elle. Le Judaïsme instaure l’obéissance absolue à la Loi. Le fidèle est seul avec Dieu, il renonce au monde dans une sublimation qui instaure “l’hégémonie du spirituel et de l’intellectuel”. »
Gillabert évoque la fragilité du développement affectif du jeune homme et estime que la compensation de cette faille psychique est une rigidité de pensée, un extrémisme à tout va. Son comportement est violent, il s’emporte facilement et ne supporte pas la contradiction. Gillabert pose le diagnostic d’une paranoïa qu’il va s’employer à démontrer, nous le verrons plus loin.
Le pharisaïsme auquel il adhère « se distingue par la rigueur et la complexité de son légalisme. La vie du pharisien est enserrée dans un réseau des 248 commandements et des 346 défenses du code mosaïque. À cette servitude s’ajoutent les purifications rituelles et les prescriptions de toutes sortes [...] dont le jeûne deux fois par semaine. Saul s’emploie à compenser ses défaillances inévitables par un zèle débordant au service de la Loi [...] À l’instigation du Sanhédrin, il se fera le persécuteur des Chrétiens […] muni de pouvoirs illimités (11). »
« J’ai moi-même jeté en prison un grand nombre de saints et quand on les mettait à mort, j’apportais mon suffrage [...] je voulais par mes sévices les forcer à blasphémer (12) », ainsi s’exprime Saul dont les propos sont rapportés par Luc, sans aucun remords et la bonne conscience du devoir accompli. Il y a une froideur et une cruauté chez cet homme qui contrastent étrangement avec la mansuétude de Jésus. Dieu le père restera pour Saul le Dieu de l’interdiction : « Tu ne feras pas... »
Gillabert affirme que cette agressivité qui a pour fonction de le décharger de ses pulsions morbides en les projetant sur autrui, va engendrer une grande culpabilité qui va culminer jusqu’à la conversion du chemin de Damas. Celle-ci va canaliser les pulsions de mort poussées jusqu’à l’extrême par un retournement spectaculaire. De persécuteur des Chrétiens, il deviendra persécuteur des Juifs avec la même ardeur que naguère avec les Chrétiens. Aujourd’hui nous savons que faire le contraire de ce que l’on faisait auparavant, revient à faire toujours plus la même chose, ce n’est qu’une question de logique !
(1) Il prendra le nom de Paul après sa vision de Damas.
(2) Noté dans les Actes des Apôtres. La plaine de Cilicie est barrée au Nord par les cimes enneigées du Taurus et au Sud par la Méditerranée.
(3) Ga 4.25-26 : « la Jérusalem actuelle est esclave avec ses enfants. Mais la Jérusalem d’en-haut est libre, elle est notre mère. »
(1) À la réforme, les protestants adopteront l’Évangile de Paul et délaisseront le culte marial. L’Église catholique a institué le culte de la Vierge et l’a renforcé au cours des siècles, dogme de l’Immaculée Conception (19ème siècle) et l’Assomption (20ème siècle).
(5) Chap. La femme dans les Épîtres de Paul, in St Paul ou le colosse aux pieds d’argile, p. 148.
(6) L’Église associera Marie au rachat du péché d’Ève. Pour Paul, le rachat (la rédemption) se fera par Jésus.
(7) Paul les appelle les « vraies veuves ». Quant aux jeunes veuves, il dit : « Je veux qu’elles se remarient(Tm 5.14). »
(8) Accompagné d’une cohorte de femmes qui le suivaient dans ses déplacements ; sa relation privilégiée avec Marie de Magdala ; la révélation à la Samaritaine, etc., les exemples foisonnent.
(9) Culte de la terre-mère, Gaia, Cybèle, Artémis déesses de la fécondité associées à l’œuvre de la Création.
(10) Cela fait penser à Adam avant la Chute, à Moïse avant les commandements, aux Gentils avant leur conversion. Il écrit ceci en prison à Rome, quelques temps avant de mourir.
(11) Op. cit. p. 76.
(12) Ac 26.10-11. Il a participé à la lapidation d’Étienne.
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