par Marane
Le rejet du corps
La doctrine de Paul est fondée sur la mort du Fils de Dieu sacrifié en vue d’apaiser le courroux d’un Dieu sévère et jugeant. La vie temporelle de ce dernier ne l’intéresse pas et pour cause, cela contrarierait les prémisses de sa théorie.
La chair est mauvaise : « Marchez dans l’Esprit et vous n’accomplirez pas les convoitises de la chair, car la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair (Ga 5.16-17). »
Son discours est truffé de couples antinomiques comme chair-esprit, vie-mort, gloire-déshonneur, jour-nuit, amour-haine, esprit de vérité-esprit de perdition etc., qui engendrent une morale dualiste sans nuances.
Les méfaits de la chair sont longuement détaillés, fornication, impureté, débauche, orgies, ripailles, mensonge, etc. (Ga 5.19-21) ou encore : « Le désir de la chair c’est la mort, le désir de l’esprit c’est la vie (Rm 8.6). »
Tout ce qui touche la vie naturelle est ciblé comme une source potentielle d’éloignement de la vie de l’esprit qui est la seule voie possible pour mener une vie exempte de péchés et se rapprocher de Dieu. « La chaire et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu » dit Paul dans l’Épître aux Corinthiens (15.50).
Cette séparation corps-esprit entraîne une dichotomie néfaste, séparant l’individu en deux parties distinctes. Tout ce qui touche à la vie physique est mauvais et engendre une culpabilité d’ordre névrotique. Cette attitude dans l’optique de Gillabert nous renvoie à l’état psychique morbide de Paul. Sur le plan historique, les Esséniens, contemporains de Paul partagent la même idéologie ; elle est répandue chez les gnostiques qui séparent le corps et l’esprit. Pour eux, la nature est mauvaise parce qu’elle est l’œuvre d’un démiurge malfaisant, Paul cependant ne va pas jusque là.
Le rejet de la chair rend le corps encore plus pesant, cri du cœur de Paul dans sa prison de Rome : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? (Rm 7.24) »
Gillabert souligne le paradoxe d’une telle attitude : « Jamais auteur n’a tant rabaissé la chair, mais jamais non plus auteur n’a tant parlé de son propre corps (1). » Quelques lignes plus loin : « C’est en voulant l’ignorer qu’il l’affirme, c’est en s’efforçant de l’abaisser qu’il le singularise et c’est en cherchant sa gloire post mortem qu’il établit hic et nunc son prestige. »
Ambivalence des propos de Paul qui souffre réellement de mille maux qu’il se plaît à énumérer d’une manière parfois impudique.
Le culte de la souffrance
Le rejet du corps amène ipso facto à la souffrance et à la complaisance dans la souffrance. Paul se complaît d’une manière assez morbide à énumérer ses maux. Il en tire l’avantage de pouvoir se comparer au Crucifié, à sa souffrance qu’il partage et qui se sanctifie à ce contact : « […] je trouve une joie dans la souffrance que j’endure pour vous, et je complète en ma chair, ce qui manque aux épreuves du Christ (Col 1.24) », et dans l’Épître aux Corinthiens : « Oui je me complais dans mes faiblesses, dans les outrages, les détresses, les persécutions, les angoisses endurées pour le Christ, car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort (Co 12.10). » La justification de tout ceci est que : « Dieu s’est plu à réconcilier tous les êtres […] en faisant la paix par le sang de la Croix (Col 1.20). »
Grâce au Christ crucifié (2), la chair source de péché et objet de mépris, est promue à une destinée glorieuse par la résurrection des corps.
Plus je souffre, plus je méprise mon corps, plus je me rapproche du Crucifié, de la rédemption qu’il a rendue possible par son sacrifice et son sang et de là du corps glorieux qui m’attend à la fin des temps, post mortem !
Est-ce un gnosticisme qui ne dit pas son nom ? En effet, ce rejet de la vie et de ses manifestations naturelles se rapproche du positionnement gnostique qui méprise la vie sur terre car elle est mauvaise. Le gnostique aspire de toute son âme à partir d’ici-bas, pour lui la vraie vie est ailleurs.
Conclusion
Même si nous n’étions pas d’accord avec le diagnostic qu’E. Gillabert porte sur l’équilibre psychique de Paul, force est de reconnaître que la doctrine paulinienne nous entraîne loin de l’enseignement prodigué par Jésus de son vivant. Ce sont deux directions diamétralement opposées.
On pourrait suspecter la théologie mise en place par Paul d’influences de type gnostique et dualiste qui circulaient à son époque. Notamment celle de la communauté essénienne que Paul connaissait très vraisemblablement. Les croyances de cette dernière se démarquent très nettement du message christique.
Pourquoi l’empereur Constantin quand il institue le christianisme comme religion officielle de Rome au début du IVème siècle, choisit-il cette théologie comme fondement principal de son Église ? Serait-elle plus en accord avec les croyances qui circulent à ce moment-là ? Le message du Christ était-il trop révolutionnaire pour instaurer une religion d’État ? Impossible de répondre à ces questions.
E. Gillabert, en écrivant ce livre à la limite de l’impiété comme il le dit lui-même, fait figure de pionnier (3), lorsqu’il ose s’attaquer à un poncif de la religion catholique apostolique et romaine. Trop de discours religieux lénifiants ont caché la vérité pendant des millénaires, où l’on risquait sa vie au moindre désaccord. Toute tentative critique était absolument interdite, le système religieux mis en place était parfaitement verrouillé.
Grâce à la découverte de nombreux documents retrouvés au Moyen-Orient après 1945, nous pouvons espérer que ces recherches menées par des scientifiques indépendants du fait religieux, permettront de tracer un chemin plus fiable, débarrassé des mythes religieux sur la réalité de ce premier siècle où différents courants religieux se font jour après la mort du Christ.
(1) Chap. L’hypocondrie, op. cit. p. 99.
(2) Jamais Paul ne parle du Christ vivant, c’est à se demander s’il ne subit pas une influence gnostique qui pouvaient aller jusqu’à nier Jésus incarné.
(3) En 1974, le Vatican garde encore sous le boisseau des documents essentiels qui pourraient bouleverser les croyances des Chrétiens.
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