par René Dambert
Le malheur a toujours fait recette. Les journaux le savent bien, qui font leurs manchettes de drames et délaient leur encre avec le sang de la victime ou les larmes de l’orphelin. C’est que le récit corsé du malheur trouve en nous du répondant ; nous nous pensons tous infiniment affligés, accablés, douloureux, donc intéressants. Ah ! que nos « douleurs » sont éloquentes, même quand elles se dérobent dans un manteau de silence qui ne demande qu’à montrer ses trous !
Pour celui qui essaie tant soit peu de servir le Christ, le danger de tremper sans arrêt son mouchoir est encore plus grand. Les soins aux malades, les secours aux pauvres, l’aide aux « déboussolés » laissent des traces. Parce que nous aurons entendu trop de propos amers, nous n’entendrons pas facilement le cri joyeux du gosse, le son de la cloche ou le chant de l’oiseau. De là vient peut-être que le chrétien fait triste. On nous objectera Dom Bosco amusant la galerie, on nous montrera saint François jubilant après une journée d’humiliations ou le Curé d’Ars, après une nuit de diableries, parlant du « grappin » avec une bonne humeur narquoise. Attitudes, altitudes de saints... Nous n’en sommes pas là et rien n’est plus dangereux que de se métrer à ces titans.
Nous donnerions dans l’outrance en affirmant que cette époque est de tout repos. La révolte des marées, les saisons qui s’imprécisent, une certaine déliquescence morale, les maladies sans cesse vaincues par la science, sans cesse renaissantes devant elle, les embarras économiques et les troubles qui ajoutent à la lassitude d’un monde politiquement découragé, tout ce déséquilibre qui prend place dans nos existences personnelles comme dans celles des nations sont bien faits pour accentuer nos faiblesses, pour forcer nos abandons. Mais n’ayons pas la maladive complaisance de ne souligner que ce qui va mal. Le réveil religieux des hommes de ce temps est certain. C’est ce qui nous importe d’abord, dans la mesure où nous référons notre vie au Christ.
Ceux qui entouraient Jésus, sur le Calvaire, n’ont d’abord vu que Sa défaite, Sa croix, Sa mort. Ce n’est qu’après la découverte du tombeau ouvert, après la première apparition du Maître qu’ils mêlèrent à leur désespoir la joie des certitudes victorieuses. Nous n’avons pas comme eux l’excuse d’avoir l’événement devant nous. Nous savons de la façon la plus intime que l’achèvement de Sa résurrection par les hommes ne peut que suivre une série de défaites matérielles et morales.
Sommes-nous entrés dans un temps de jugement ? À vouloir forcer l’hypothèse, on déraille. La seule certitude, c’est que nous n’en savons rien. Aux approches de l’an 1ooo, nos pères imaginaient des chocs imminents de planètes en délire, des guerres sans fin et des famines à tout crever. L’an 1000 a pourtant passé sans plus d’encombrement que l’an 9oo. Souhaitons à l’an 2ooo la même chance !
Mais, surtout, tenons-nous lucides et refusons-nous à multiplier nos peines ou celles du voisin par d’inutiles colportages. En temps de guerre, on prohibe avec raison les propos défaitistes. Peut-être sommes-nous, en effet, en temps de guerre... Et, si nous n’y sommes pas encore, quelles expressions horrifiées, quels mots trouverons-nous si nous avons quelque jour de vraies raisons de juger la situation intenable. « Donne-nous, Père, avec le pain, le goût du silence quotidien, la force d’encaisser sans rien dire d’autre que ce FIAT qui laisse aux choses le temps de s’accomplir. » Le temps travaille pour nous, chrétiens, qui n’avons rien à perdre que ce que nous aurions dû déjà, de bonne grâce, abandonner.
Bulletin des Amitiés Spirituelles, octobre 1953
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