« Ô rêveur d’éternel, qui souffres dans le temps »
Turris Eburnea, « Élévation », p. 17
Ce fut dans l’entourage de son beau-père que le Docteur Lalande fit la connaissance de celle qui devait devenir sa seconde femme. D’origine russe, mariée à un anglais, Mme Marshall, née Chestakoff, arrivait à Lyon en 1898. En 1897 le docteur était devenu le gendre de Monsieur Philippe. Au début de leur rencontre, ils ne se virent que fort peu et lorsque par hasard ils se trouvaient tous les deux présents à une visite faite ou reçue par leurs familles. Toute leur intimité naquit après le départ du Maître, mais les états d’âmes préparent les événements, et les choses les plus hautes descendent sur terre humblement dans le courant des jours. L’atmosphère dans laquelle il leur fut permis de pénétrer ne peut se comparer à rien de ce qui se voit couramment. Les manifestations des êtres supérieurs sont toujours apparues « comme un voleur et sans qu’on sache à quelle heure il viendra », car si un témoignage peut être rendu après coup, l’Hosanna de la reconnaissance ne doit et ne peut éclater que spontanément. Ce qui est parfaitement compris, tout en devenant sublime, cesse d’être miraculeux et la vérité des choses est pour les âmes celle qu’elles ressentent et non celle qu’on leur enseigne.
Pour vivre à proximité de Monsieur Philippe, il fallait avoir apporté en soi une recherche et un désir sans bornes des réalités qui l’entouraient, ou bien une légère teinture de ces mêmes vérités reléguées dans le fond de son âme. L’Amour seul peut concilier l’énormité d’une présence spirituelle avec la petitesse des événements – l’Amour ou l’Esprit.
Le point principal de l’union de M. Lalande et de Mme Marshall se trouva précisément en ce qu’ils comprenaient celui qu’ils aimaient de la même manière et que, plus tard, le docteur put se confier à elle sans restriction aucune, car la lumière avait revêtu pour eux la même couleur et pris le même aspect.
Vers l’âge de quatre ans, lorsque, envahie d’une tristesse sans bornes, à la veille d’une fièvre scarlatine très grave, Mme Marshall se sentait prise d’une impossibilité de continuer cette existence, elle voyait descendre vers elle un second elle-même dont la présence harmonieuse disparaissait après l’avoir réconforté. À onze ans, elle s’éveilla un matin assise sur son lit, elle venait d’entendre la voix de Dieu qui l’appelait et se rendit compte aussitôt qu’il lui serait désormais impossible de vivre sans que sa pensée lui soit constamment présente. Cette pensée était devenue l’aliment de son âme, auprès duquel la vie matérielle n’était rien. À l’état de calme dans lequel reviennent à la surface de l’âme (qui anime la matière) les impressions fondamentales, Mme Marshall s’attendait, malgré elle, à rencontrer celui que la religion chrétienne lui avait appris à aimer. Malgré elle, car souvent sa raison lui objectait qu’elle se trompait de temps et de lieu, qu’elle ne vivait pas en Palestine et que des siècles entiers la séparait de ce temps bienheureux.
Puis, automatiquement, l’âme revenait à elle-même, à ses méditations et à ses chères réalités. Ayant épousé, en 1895, et à l’âge de 17 ans, le futur père de ses enfants, ayant changé de pays, de genre de vie et de milieu, Mme Marshall passa, en 1897, par suite de maladie et d’épreuves diverses, par une crise de dépression intense. Elle n’aurait pas pu ne plus penser à Dieu, mais la prière, sous l’empire d’un chagrin très profond, lui était devenue absolument impossible. L’idée lui vint alors d’aller trouver Dieu, de l’atteindre, pour ne pas sombrer. Elle concentra tout son être sur cette idée, et peu d’instants après fut arrêtée par un choc d’une violence et d’une résistance plus rigide que ne l’eût offert n’importe quel obstacle matériel. Cela lui suffit. La réalité spirituelle se manifestait nettement en mettant un frein à la voie qu’elle avait choisie. Quelques jours après, les médecins dirent à sa famille qu’il n’y avait plus d’espoir de la sauver et il lui parut alors pitoyable de quitter la Terre sans avoir rien fait d’utile ni compris de remarquable. Elle demanda au ciel de lui accorder deux ans pour faire mieux, en se disant que si, à la fin du temps demandé, elle n’arrivait encore à rien, elle quitterait la Terre sans regrets.Puis elle obtint de sa famille qu’on congédiât les médecins ; non sans s’entendre dire que c’était là un procédé qui manquait totalement de bon sens ; et à partir de ce moment elle commença à se remettre, lentement, mais sûrement.
Un an plus tard, M. Marshall devant faire un voyage en Angleterre, Mme Marshall l’accompagna pour s’arrêter à Lyon où elle devait rejoindre sa mère qui venait d’y arriver. Depuis le jour où Mme Marshall avait demandé à rester sur terre et jusqu’à son arrivée à Lyon, elle vit souvent devant elle, et cela surtout aux moments les plus pénibles de sa vie, le bon Berger, tel qu’on le représente couramment, mais incliné vers elle, son regard empli de douceur, et lui indiquant de sa main droite un agneau blanc couché dans le creux de son bras gauche, comme pour lui enlever toute appréhension au sujet de l’avenir. Quelques jours avant son arrivée à Lyon, elle vit en rêve le Dr Encausse (Papus), chez lequel sa mère avait convenu d’aller passer quelques semaines avec elle, et Monsieur Philippe. Ils cheminaient ensemble en causant. Ses regards s’attachèrent surtout sur ce dernier, mais elle les reconnut fort bien tous les deux, par la suite.
Ceux-là seuls qui l’ont éprouvé savent ce que peut être un leitmotif de toute une existence, comment le fond n’en varie jamais, quels efforts constants sont accomplis par l’esprit pour arriver jusqu’à la conscience, ainsi que le travail non moins grand qu’accomplit le cerveau pour s’adapter et pouvoir traduire, ici-bas, les choses de l’au delà. Le psalmiste l’a bien défini par ces mots : « Le zèle de ta maison me dévore ». Ce fond de la pensée constamment préoccupé de la raison des choses fut bien aussi une similitude de dispositions qui rapprocha plus tard d’un coup d’ailes le Dr Lalande et Mme Marshall. El, dans son Turris Eburnea, qu’il lui offrit en 1906, elle reconnut sans peine les états d’âme qu’il y avait dépeints, tels que : « inutile et trop plein, sourd et lourd le bourdon » (1), ou encore le dépit par anticipation d’un encrassement possible dans une vie bourgeoise dépourvue d’idéal (2). Vers la fin de l’été de 1908 (sic ?) (3), Mme Marshall assista à quelques séances de la rue de la Tête d’Or où, déjà avant d’avoir fait la connaissance de la famille de Monsieur Philippe, on lui avait indiqué le Docteur debout, adossé contre l’un des côtés de la porte de la salle, tandis que M. Chapas se tenait de l’autre côté. M. Lalande ne venait pas toujours aux séances, ayant son cabinet et ses occupations au dehors ; cependant on l’y voyait quelquefois. Il faisait une chaleur torride et Mme Marshall, se sentant indisposée, voulut demander à sortir de la salle pendant qu’on attendait Monsieur Philippe pour la première séance à laquelle elle devait assister. Sa mère l’en empêcha. Mais le malaise augmentant, elle se leva et se rapprocha de la porte ; à ce moment on frappa fortement et, M. Chapas ayant ouvert, Monsieur Philippe, poussé par les gens qui venaient derrière lui, et Mme Marshall, déplacée également par ceux qui avaient attendu dans la salle, se trouvèrent serrés pendant quelques instants l’un contre l’autre sans pouvoir bouger. Il tenait ses yeux baissés, mais un tel rayonnement émanait de tout son être qu’elle fut fixée immédiatement. Tout était là. Tout ce vers quoi elle avait aspiré, ce qu’elle avait cherché de toutes les fibres de son âme. C’était là la paix profonde et le refuge quoi qu’il arrive.
Pendant la séance Monsieur Philippe lui parla ; son regard était inoubliable de Bonté et de Certitude. Il est impossible de décrire tout ce que l’on pouvait éprouver en sa présence ; une bonté infinie vous pénétrait entièrement et on se retrouvait à nouveau à la source de toutes choses. Tous ceux qui l’approchaient n’éprouvaient pas nécessairement la même impression ; il en est même auxquels il inspirait une grande crainte, au point de ne pouvoir lui adresser la parole, et d’autres qui ne pouvaient pas supporter son regard. Quelques années plus tard, au cours d’une visite que la famille faisait aux Marshall à Sathonay (4), on tenait librement des propos à ce sujet devant lui. Se tournant alors vers Mme Marshall, Monsieur Philippe lui demanda si elle aussi avait peur de lui. Elle prit un petit banc pour s’asseoir à ses pieds, car on était dehors dans le parc. « Non, lui répondit-elle, ce serait trop injuste ». Son cœur bouillait d’indignation et de révolte et la conversation changea de sujet.
(1) Turris Eburnea, « Cloches en fêtes », p. 45.
(2) Turris Eburnea, « D. M. P. », p. 11.
(3) Ndlr : probablement 1898.
(4) Sathonay, dans l’Ain, aux environ de Lyon.
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Madame Emmanuel Lalande, Marc Haven, Henri Dangles, 1934, 71-76
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