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Le Docteur et Mme Marshall avaient commencé à mieux se connaître l’un l’autre depuis ses premières lettres et sa visite pour rapporter les manuscrits, dont la plupart avaient été écrits au crayon et dont aucun ne portait de signature. Il lui avoua plus tard que les ayant trouvés, il les lut en entier, jugea que leur contenu ne pouvait venir que d’elle et dès lors désira son affection. Il ne lui. dit pas au début qu’il les avait lus, mais retrouvés et identifiés seulement.
Pendant l’hiver 1906-1907, M. Lalande amena sa belle-mère et Mme Landar à Sathonay pour convenir de différents détails concernant le double déménagement et pour voir la petite Victoire Marshall. Lui-même continua à y venir souvent, la nouvelle construction et une foule d’autres questions qui surgissaient tous les jours rendaient ces visites nécessaires. Le Docteur était devenu le médecin de la famille.
Longtemps encore, comme on le lira plus loin, et en dehors de toutes les questions qui pouvaient les intéresser, M. Lalande et Mme Marshall eurent à s’occuper ensemble de choses matérielles concernant Monsieur Philippe. Dans le courant de l’hiver, le grand lévrier Tchaï, que Victoire soignait comme un enfant et qui n’avait jamais pu supporter les absences de Monsieur Philippe, tomba malade et le Docteur écrivit à Sathonay : « Cette nuit est mort dans mes bras l’ami de nos chers disparus ». Bien des détails du passé leur revenaient, ils avaient une foule de souvenirs communs et d’autres à se communiquer réciproquent. Mme Marshall le plaignait beaucoup, elle le savait seul, enfermé dans cette grande maison de l’Arbresle qui avait eu tant de vie pour lui, triste et souffrant. Lorsqu’ils se voyaient, il lui racontait ses recherches passées, ses nuits de travail et de désespoir, ses déceptions et ses doutes. Elle le savait excessivement doué et sensible. Des amis communs lui avaient raconté avec quel dévouement, malade lui-même, il avait soigné jusqu’à la fin, revenant sans cesse, des êtres qui leur avaient été chers. Très pitoyable, il faisait la charité de sa science aussi bien que de son temps. L’argent ne comptait pas pour lui, sauf quand il entrait en lutte avec des profiteurs. Il donnait en l’ignorant et ne faisait aucun étalage de sa bonté. Pour Mme Marshall il n’était certes pas le Maître, mais il l’avait enseveli, soigné, aimé jusqu’à son dernier souffle, et maintenant, se sentant orphelin, venait à elle. Déférent, elle l’avait vu écouter Monsieur Philippe sans proférer la moindre parole, ou bien au contraire en réponse à une question de lui telle que : « Comment expliquez-vous cela chez vous, mon Dac ? » (chez vous s’adressant au savant, à l’érudit qu’était le Dr Marc Haven), elle l’avait entendu dérouler des trésors de savoir et d’érudition.
De son côté Monsieur Philippe avait pour son gendre l’affection la plus profonde et la plus confiante. Il était le seul sur lequel il pouvait se reposer entièrement, dont l’esprit était ouvert et le cœur attentif. Il savait être impersonnel. Monsieur Philippe lui avait remis, son « Héliosine » de laquelle le Dr Lalande se servit pour les traitements indiqués par son Maître et qui portait sur l’étiquette de ses flacons « Orando Laborando ». Et le Dr Lalande ne perdait pas de vue cette « voie du juste milieu » par excellence qui consiste, pour l’évolution humaine, à ne pas quitter le travail pour la prière, ni cette dernière pour le travail, mais à travailler en priant. Souvent, lorsque le Maître parlait de ce que l’émeraude avait de plus que les autres pierres précieuses, ou de la nécessité de toujours envisager le couple dès qu’on avait à faire à quoi que ce soit faisant partie de la création, le Dr Marc Haven ne pouvait pas ne pas y voir la preuve de la connaissance contenue dans ces tradition connues de lui, et que pourtant, Monsieur Philippe n’avait pas étudiées. Il solutionnait parfois d’un seul mot une question compliquée et que le Dr Marc Haven avait vainement cherché à résoudre, ou bien éclairait par une seule indication quelques hypothèses de la science, car si celui qui l’écoutait avait parcouru presque tout le savoir des différentes traditions, son Maître en possédait la genèse, le sens et le but final.
Monsieur Philippe lui dit un jour, faisant allusion a des marques qu’ils avaient tous les deux à la naissance des cheveux sur la nuque, qu’ils étaient de la « même famille » spirituelle, et tandis que certains contemporains jetèrent plus tard maladroitement un discrédit regrettable sur leur Maître, s’étant attachés surtout au côté extérieur de ses paroles et de ses actes qui leur étaient apparus avec tout l’attrait qu’avait pour eux le merveilleux, le Dr Marc Haven fut peut-être le seul à réaliser toute la profondeur de ses enseignements.
À partir de 1907 environ et jusqu’à leur arrivée dans le Midi, M. Lalande refit à nouveau beaucoup d’escrime ; Mme Marshall était au courant des préparatifs des tournois, des difficultés et des succès qu’il remportait. Il se passionna également pour le Jiu-Jitsu et en fit toute une étude.
En 1909, M. Marshall voulut faire entrer son fils dans un collège en Angleterre, mais l’enfant ne savait pas un mot d’anglais et avait joui jusque-là de la plus grande liberté, n’ayant eu un précepteur que depuis la naissance de sa dernière petite sœur. Il n’avait jamais quitté les siens et sa mère demanda à pouvoir chercher d’abord quelque chose qui pût lui convenir moins loin de chez lui et promit, en cas d’échec, de l’envoyer en Angleterre. Elle fit alors un voyage en Suisse et son choix se fixa sur une École Nouvelle à Lausanne. La famille Marshall y passa quelques mois au printemps et, n’osant pas encore laisser son fils comme interne, Mme Marshall prépara, pendant les vacances d’été passées à l’Arbresle, le départ de toute la famille pour l’hiver. Elle avait loué une villa près de l’École aux environs de Lausanne. Ce fut surtout pendant son séjour en Suisse que Mme Marshall reçut des vers et des poèmes en prose du Docteur Lalande.
La pauvre Berthe Mathonet, d’un dévouement absolu, mais simple, ne comprit rien à ce déplacement, et s’en chagrina énormément. Elle avait continué d’être une messagère fidèle pour Mme Marshall et la famille de son Bon Maître, comme elle l’avait été pour lui. Pour elle, quitter le pays où était sa tombe ressemblait presque à un crime, elle y montait journellement et par n’importe quel temps renouveler les vases et arranger les fleurs. Toussant terriblement tous les hivers, minée par le chagrin, son état s’aggrava encore durant cette absence, car ne sachant même pas lire ni écrire, elle était réduite à ne pouvoir correspondre elle-même avec ceux qui la quittaient. Elle tomba tout à fait malade et fut fidèlement soignée par le Docteur Lalande. Après le départ de son Maître, l’angoisse qu’avait Berthe de devoir un jour quitter la rue du Bœuf devint pour elle presque une idée fixe. Elle y conservait, en plus de son appartement, le laboratoire de Monsieur Philippe où elle avait veillé tant de nuits avec Lui ou bien seule, terminant quelques travaux selon ses indications. Pour la soulager, Mme Marshall parvint à acquérir l’immeuble au nom de Berthe Mathonet et, pour arranger la chose vis-à-vis de son mari, demanda à celle-ci de faire un testament en faveur de son fils Philippe Marshall, qui devint le légataire universel de Berthe Mathonet.
La mort de Berthe fut un nouveau sujet d’inquiétude pour le Docteur Lalande qui craignait de voir ce qui avait appartenu à son beau-père livré à des êtres indifférents ou hostiles. Il vint plusieurs fois à Lausanne et Mme Marshall demanda à son mari, leur fils Philippe étant encore mineur, de se laisser remplacer par lui comme exécuteur testamentaire. M. Marshall, atteint d’un diabète qui devait l’emporter deux ans plus tard, hésita cependant un peu à se dessaisir de ses droits, mais le désir d’aller en Italie voir un nouveau médecin, qu’on venait de lui vanter, l’emporta, et le nécessaire fut fait afin de permettre à M. Lalande de s’occuper de la succession de la rue du Bœuf, ce que Mme Marshall désirait autant que lui. Cela leur permit de liquider le laboratoire de la rue du Bœuf ainsi que Mme Marshall l’avait déjà fait précédemment avec Berthe pour celui de la rue Colbert.
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Madame Emmanuel Lalande, Marc Haven, Henri Dangles, 1934, 90-95
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