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Le Docteur Lalande écrivait bien plus tard lui-même à un ami : « Il était, Lui, tellement différent de nous, tellement grand en connaissance, si libre, que nulles de nos mesures ne s’adaptaient à Lui. Logique, morale, sentiment de la famille, tout cela n’était pas pour Lui ce que c’est pour nous, puisque la vie entière se présentait à Lui avec le passé et l’avenir liés ensemble en un seul tout spirituel dont Il savait la nature, l’essence, les raisons, les lois, dont Il possédait les rouages. Parler de Lui ! Mais il faudrait déjà avoir pu pendant des jours parler avec celui à qui on voudrait exprimer sa pensée, de tout ce qui nous entoure, matière et force, pensée et sensation, et être arrivé à une conception parfaite, identique, tous deux, de tout l’Univers et de nous. Après, il faudrait que celui qui écoute arrive à se représenter, à sentir surtout – car le centre de tout en nous, c’est le cœur et non pas la raison – la réalité, la vérité d’un être tel que Lui, non comme possible, mais comme nécessaire. Et alors celui qui parlerait de Lui pourrait être compris, peut-être ! » Or, ils l’avaient connu tous deux ensemble, l’avaient reçu et interprété de la même façon et, pour eux, n’eût-il jamais parlé, jamais guéri matériellement, ni manifesté d’aucune manière, il aurait toujours été Lui : sa Présence seule suffisait à combler toutes choses, car elle était opérante.
On a souvent demandé à Mme Lalande de quoi M. Philippe l’avait guérie et ce qu’elle lui avait demandé pour elle-même. Elle ne lui a jamais rien demandé de ce genre, car entrer en contact avec Lui était suffisant et tout le reste retombait dans l’oubli. Il est bien dit dans l’Évangile de Jean : « Il prendra de ce qui est à Moi et vous l’annoncera », et d’après l’expérience de M. Lalande et de sa femme, il pouvait prendre à la fois de ce qui était au Verbe et à l’Esprit. Saint Jean dit aussi : « Si on écrivait en détail, je ne pense pas que le monde même pût contenir les livres qu’on écrirait. ». Et encore : « Il n’avait pas besoin qu’on lui rendît témoignage d’aucun homme, car il savait par lui-même ce qui était dans l’homme. »
Le Maître n’imposait jamais son opinion, mais ayant répondu à quelque question, disait simplement : « C’est mon opinion, vous n’êtes pas obligés de le croire, c’est mon opinion voilà tout ». Souvent il était empêché de répondre aux uns par la présence de quelques autres qui n’auraient pu comprendre ses paroles.
Il était inimitable, parce que le germe de Vie est dans le renouvellement et non dans la conservation de quoi que ce soit. On ne pouvait pas l’imiter, mais bien l’aimer infiniment.
On a aussi demandé à Mme Lalande de mettre un nom sur ce qu’elle révérait ainsi au-dessus de toutes choses. À quoi bon, puisque Lui-même ne l’a pas fait ?
Un Nom n’est pour l’humanité qu’un Jalon posé sur la route de l’Infini.
Irait-on demander aux roses si elles sont les mêmes que celles de l’année précédente ? Ne sont-elles pas toujours des roses ? Et une source qui désaltère n’est-elle pas faite de gouttelettes successives ?Les molécules n’importent que lorsqu’elles sont entièrement rendues à l’Esprit et que, par conséquent, elles ont perdu leur caractère de molécules. Car, dans son Unité, Dieu crée par l’homme une Réciprocité telle que, par son Harmonie, elle retourne à l’Unité.
Voici un second passage écrit par le Dr Lalande : « Et puis je vous ai dit aussi, l’enseignement de M. Philippe se résumait à peu, bien peu de choses. Un seul point d’où tout dépend ; la modification de soi-même, la forge, le modelage, la trempe du moi, jusqu’à ce qu’il ne soit plus que néant comme égoïsme, qu’amour, qu’acte de bonté pour autrui. Parce que sans cela tout est nécessairement faux, appelé à la mort, science comme vertus, actes comme prières ou pensées, vie ou bonheur, tout ! et qu’avec cela tout est donné, progrès, lumière, pouvoir, bonheur et possibilité de faire des heureux, et connaissance progressive de tout, du monde, des hommes et de Dieu. »
« Je vous jure que c’est tout et que M. Philippe n’a enseigné, ni pratiqué rien d’autre. Mais comme Lui était déjà haut sur cette route, si haut que nous ne pouvions pas dire s’il était aux trois quarts du sommet ou par delà le sommet, puisque nous sommes en bas, il avait, Lui, cette connaissance, ce pouvoir, dont je parle plus haut et dont notre désir rêve, et il donnait par ses bienfaits, cures morales, et physiques, acte de science ou de miracle (c’est-à-dire sur-science pour nous) des preuves que son enseignement était vrai. » – « Vous verrez que cela est vrai et que plus vous irez, dans vos lectures ou vos recherches, plus vous verrez que ce Chemin de Croix, cette bonté effacée est tout. »
En 1915, le Dr Lalande fut affecté, sur sa demande, à un hôpital complémentaire à Nice et là, ayant fait connaissance d’un médecin radiologue, passa pour le rejoindre à la section militaire de l’hôpital de la ville de Nice. Il y travailla avec lui et s’intéressa beaucoup à cette application nouvelle de la science. Après la guerre, il s’installa à Nice uniquement comme radiologue et y réussit à merveille, comme d’ailleurs en tout ce qu’il entreprenait, en sorte qu’il acquit bientôt une assez grande notoriété. Malheureusement, là encore, sa santé l’empêcha de faire tout ce qu’il aurait voulu. Tzour était vendu, et la famille installée dans une maison de la banlieue de Nice. Les dernières années surtout furent cruelles. Le Docteur était obligé de s’absenter presque continuellement pour sa santé et sa femme ne pouvait abandonner ses enfants, ni les lieux où il conservait son cabinet et où il revenait toujours de temps en temps. Mais jusqu’au bout, dans la triste situation physique où il se trouvait, il conserva sa curiosité intellectuelle et une ardeur au travail qui lui fit apprendre le chinois pour pouvoir recourir au texte même du Tao-te-King, dont il entreprit la traduction dans le but d’établir un rapprochement entre Lao-Tseu et d’autres mystiques anciens et modernes. Ce travail lui coûta beaucoup d’efforts, car scrupuleux comme il l’était pour tout ce qui touchait à une documentation quelle qu’elle fût, il ne pouvait se résoudre à s’arrêter au mot à mot de la traduction et recherchait, parmi les multiples interprétations que comporte souvent la moindre parcelle d’une seule lettre de l’alphabet chinois, celle qui pouvait servir à dégager le sens le plus élevé et le plus pur de la doctrine.
Le Dr et Mme Lalande s’écrivaient quotidiennement et elle aurait pu dire avec Valéry :
« Car j’ai vécu de vous attendre « Et mon cœur n’était que vos pas. » (1)
Lorsque les circonstances matérielles le permettaient, ou qu’elle était trop inquiète, sa femme allait passer quelques jours auprès de lui.Le 31 août 1926 elle ferma les yeux à son Amour, dans une triste banlieue de Paris et fit transporter sa dépouille mortelle au cimetière de Loyasse à Lyon, car le Docteur lui avait dit autrefois que si cela demeurait possible, il aimerait reposer là, où il avait vu déposer le corps de son Maître. II lui écrivait encore le jour de sa mort : « Adieu, adieu, mon Aimée, mon esprit demeure fidèle au tien » et elle retrouva dans un tiroir auprès de son lit toutes ses dernières lettres classées et comme prêtes à parcourir. La nuit après la mise en bière et avant de quitter Paris, Mme Lalande le vit en songe en voiture avec M. Philippe, et « son Dac » vint à eux, flottant, le haut du corps seulement. Il se glissa entre eux et dit d’une voix encore endolorie, mais si heureuse : « Je suis content de venir avec vous. » Son expression était celle d’un convalescent très doux...
(1) P. Valéry, Charmes, « les Pas ».
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Madame Emmanuel Lalande, Marc Haven, Henri Dangles, 1934, 101-106
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