par Léon Vallée
Dans la réalité, dans notre vie actuelle, ordinaire, que se passe-t-il ? Rarement équilibre sage ; presque toujours prédominance marquée du corps ou de l’esprit.
Essayons de chiffrer deux exemples. Admettons que l’idéal nécessaire à la parfaite harmonie d’une personnalité soit représenté par : 100 points de protection par l’Esprit, 100 points de soumission par le Corps. Si une personnalité présente les caractéristiques suivantes :
– 75 points de protection par l’esprit ;
– 10 points de soumission par le corps ;
elle sera différente de cette autre qui sera composée de :
– 25 points de protection par l’esprit ;
– 75 points de soumission par le corps.
Dans le premier cas, c’est le corps qui domine ; ce sera un homme puissant, bien musclé, bien nourri, d’intelligence moyenne.
Dans le second cas, au contraire, l’esprit domine ; la personnalité, vivant surtout cérébralement, disposera d’une intelligence puissante, mais d’un corps moyen ou débile.
Les proportions indiquées peuvent varier constamment et si vous admettez, ce qui n’est pas contestable, d’ailleurs, que les corps et les esprits n’ont pas le même potentiel à la naissance des hommes, il vous sera facile de comprendre la variété infinie des personnalités que nous rencontrons.
(Il est bien entendu que, lorsque je fais allusion à une personnalité humaine, il s’agit d’un homme conscient de ses actes, ayant dépassé la période de l’enfance.)
Tout naturellement, nous prononçons ces mots « mon corps », « mon esprit » ; il vous suffira, en pensant à vous-même, de dire « j’ai un corps » ou « j’ai un esprit » pour avoir l’idée que vous êtes le possesseur de ces deux choses, ou qu’elles sont à votre disposition. Ceci est très important.
Si vous êtes le possesseur, permanent ou temporaire, de ce corps et de cet esprit, qu’êtes-vous donc, vous ?
La réponse doit être celle-ci : un être distinct de ces deux choses, car ce que je possède est à moi, mais n’est pas moi.
Prononcez en vous-mêmes ce mot « Moi » ; vous aurez un peu, pas beaucoup, mais un peu, le « sentiment » de la réalité de votre existence.
Il y aurait donc, au-dessus de la personnalité, un être réel, l’homme réel, pour lequel l’esprit et le corps ne seraient que des serviteurs ? Cet être qui est réellement « moi », qui « sait » que « moi » ce n’est pas un autre... peut-on en constater, pratiquement, dans la vie ordinaire, l’importance et l’existence, d’une façon plus positive que par la notion du moi ?
Je n’hésite pas à vous répondre oui, et c’est pour vous faire partager ma certitude que je réclame toute votre attention.
Pour vous faire reconnaître l’existence de l’esprit, je vous ai signalé l’antagonisme, facile à constater, dont la personnalité est obligée de tenir compte.
Si la même chose existe entre l’esprit et un principe supérieur, nous devons pouvoir, dans notre existence matérielle, nous en rendre compte d’une façon analogue.
Si l’esprit était l’homme réel, il n’aurait, comme obstacle à la réalisation de ses désirs, que des impossibilités ou des indocilités corporelles, ou des oppositions extérieures à lui.
Eh bien, il est des cas, plus fréquents qu’on ne le pense, où l’esprit se trouve retenu, muselé si je puis dire, par une puissance « interne », inexplicable par la seule raison. Cette puissance est capable de faire agir l’esprit contre ses intérêts, contre ses affections, contre ses désirs ; c’est donc bien, encore, l’antagonisme que nous cherchons.
Prenons des exemples, quelques-uns seulement ; vous en trouverez bien d’autres si vous vous donnez la peine de chercher autour de vous ou « en vous ».
Pendant plusieurs mois, X a préparé la conquête de la femme de son ami. Tous les moyens de séduction, parades du corps, ruses de l’esprit, ont été employés. Au dernier moment, une sorte de honte inexplicable, incompatible avec les préparatifs signalés, lui fait faire une « gaffe » magistrale... c’est manqué ! X se fait des réflexions dans le genre de celle-ci : « C’est par trop bête, c’était si bien préparé » ; et, il faut en convenir, le dépit de n’avoir pas réussi primera la satisfaction de n’avoir pas mal agi !
Au front, pendant la guerre, un père de famille est grave, pensif. Il vient d’être commandé pour faire partie d’une patrouille dangereuse. Un de ses camarades, célibataire, un voyou dans le civil, s’en aperçoit, se renseigne, et va spontanément demander au Capitaine de remplacer l’autre, en priant son chef de n’en rien dire. Il sait qu’il risque sa vie ; bah ! pour ce qu’elle vaut ! sa personnalité n’était pas reluisante, c’était un voyou dans le civil, mais sûrement, c’était un grand cœur ! Quelle anomalie !
Au cours d’un naufrage (il en a été parlé en 1932 dans les journaux), un homme, jeune encore, riche, beau garçon, sacrifia volontairement sa vie pour permettre le sauvetage d’une femme qui lui était étrangère. Sa personnalité acceptait la mort, l’anéantissement... d’où venait cette force d’abnégation ?
Un fils de paysan, petit, maigre, d’une intellectualité médiocre, réussit, avec beaucoup d’indulgence de la part de ses examinateurs, à être ordonné prêtre. Cette pauvre petite personnalité, enfouie dans la campagne, fournit un travail colossal, supporta des fatigues exceptionnelles, malgré une nourriture dont la frugalité est devenue légendaire, et fit preuve d’une valeur spirituelle indiscutée. – Tel fut le curé d’Ars au siècle dernier. À quoi devait-il cette autorité qui fit mettre à ses genoux plus d’une célébrité, nombre d’intellectuels ? Son corps et son esprit étaient bien falots ; humainement parlant, sa personnalité était médiocre et ne pouvait justifier le rayonnement de cet être remarquable.
[...]
Ces quelques exemples, suffisent, n’est-ce pas, pour permettre de dire : « Il existe, dans l’être humain, une puissance supérieure à la personnalité ; elle s’en sert quelquefois comme d’un instrument, de la même façon que l’esprit à l’égard du corps ».
Cette puissance, c’est l’homme réel, l’individualité humaine, c’est « l’Âme ».
Je dirai donc maintenant : « L’homme est une âme et non l’homme a une âme ».
J’espère avoir pu vous faire admettre ainsi la composition de l’homme.
Le corps – agent d’action matériel.
L’esprit – agent de l’intelligence et du désir, formant avec le corps, la personnalité humaine.
L’âme, l’individualité humaine, l’être réel.
Si, pour réaliser une personnalité bien équilibrée il doit y avoir « sacrifice réciproque » entre le corps et l’esprit, il semble logique, d’autre part, que le même échange doive avoir lieu entre la personnalité et l’âme.
En effet, si l’âme, vous ou moi, veut diriger, il faut nécessairement que la personnalité obéisse ; car, si cela n’avait pas lieu, les actes de notre vie seraient déterminés par des éléments qui ne seraient pas « nous ».
Ce serait la même chose qu’un cocher – l’âme – laissant le cheval – l’esprit – diriger la voiture – le corps – sans tenir les guides.
Ceci est d’une importance qui ne peut vous échapper, et, pour affermir encore votre conviction, je vais essayer d’examiner avec vous d’où proviennent ces éléments constitutifs de l’homme.
Léon Vallée, Vérités pratiques sur la vie humaine, 1933.
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